Après l’album des adieux en 2016, You Want It Darker, voici l’album du mort qui vit encore, Thanks for The Dance. On a beau aimer Leonard Cohen, l’entreprise (familiale, puisque coordonnée par son fils Adam) qui consiste à ramasser quelques bouts d’idées, des prises vocales et des miettes de-ci, de-là pour les faire habiller par une liste prestigieuse de copains branchés n’aurait récolté que mépris et opprobre si elle avait été menée sur la dépouille d’un mec moins cool que Leonard Cohen. Qu’est-ce qu’on aurait pensé si cela avait été (au hasard)… Johnny Hallyday ?
Les copains en question ont beau s’appeler Beck, Feist ou Bryce Dessner (The National), Thanks for The Dance sent le sapin et s’avère un album assez ennuyeux, même si traversé par de belles fulgurances et plusieurs performances d’équilibriste du lover philosophe. Cohen chante au ralenti, ce qui, compte tenu de sa vitesse de croisière habituelle, donne une idée de l’infini. Ca parle d’amour, de sexe et de mort, de religion et de foi, de l’homme et de chaleur. Cela n’a jamais été que ça : la limite et l’horizon ultime du poète canadien, son humanité frémissante, ce mélange de profondeur savante, de philousophie et de séduction forcenée. Faire semblant de réfléchir et sauter sur tout ce qui bouge. L’esprit des sixties racheté par une voix de baryton et une respectable gravité. Quoi qu’on en pense, cela fonctionne encore parfaitement par intermittence, comme ici sur le magnifique It’s Torn, la plus belle chanson du disque. On s’attend à ce qu’un mort nous apprenne des choses sur la vie, nous livre les secrets du monde mais cela ne fonctionne pas comme ça. Leonard Cohen n’est pas plus avancé que nous et il n’y a donc pas plus ici qu’avant de grande révélation sur la vérité ou la façon dont on pourrait réussir sa vie. Thanks for The Dance est un disque de lamentation soigné et dépouillé. Happens To The Heart est une méditation classieuse et élégante sur la naissance et la mort des émotions amoureuses. Pour le reste, les musiciens invités ne proposent pas grand-chose et ne semblent pas savoir quoi faire de leurs dix doigts. Moving On est une purge et The Night Of Santiago une rude épreuve de quatre minutes et quelques.
Il y a toujours eu un côté ennuyeux dans la poésie ronflante de Cohen. Celle-ci n’est pas toujours d’une légèreté extraordinaire. L’absence de rythme et de mélodie vocale sur les prises abandonnées accentue ce caractère et a sans doute inhibé les contributeurs, peureux de commettre un sacrilège en prenant le pas sur le chant. Thanks for The Dance s’anime timidement sur sa dernière minute mais sonne comme un contresens musical parfait. Il y a en revanche un beau travail de mise en son sur Puppets et un peu de courage et d’amplitude sur les arrangements de The Hills. Enfin, serait-on tenté de ponctuer. Enfin… de la musique et des flonflons. Enfin des cuivres et de l’indignité. A force de témoigner trop de respect et de révérence envers ces miettes, on a oublié qu’elles n’étaient guère que ça. On peut trouver son compte et s’émoustiller comme si on avait fait une grande découverte à la lecture dépouillée de Listen To The Hummingbird ou considérer que c’est juste une poésie médiocre qui termine, comme elle a commencé, cette toute petite entreprise.
Thanks for The Dance est clairement un produit dispensable. Il ravira les fétichistes mais ne fonctionnera guère que pour les snobs, les malentendants et les nostalgiques de l’ancien régime. Il y a tant d’autres choses à écouter, tant de plus belles morts à vivre.
02. Moving On
03. The Night of Santiago
04. Thanks for The Dance
05. It’s Torn
06. The Goal
07. Puppets
08. The Hills
09. Listen To The Hummingbird