New Order / Music Complete
[Mute Records / PIAS]

New Order Music CompleteNew Order est un groupe qui a toujours su faire face aux coups durs et aux revers de fortune. On ne reviendra pas aux origines mais comme on dit des grands champions, le groupe a toujours répondu présent lorsqu’il s’agissait de sauver la mise (la sienne ou celle de Factory Records, pendant des années) ou tout simplement sa peau (le récit des origines). Dix ans après Waiting For the Siren’s Call, leur dernier disque original en date, et sept ans (muets discographiquement à l’exception du documentaire et médiocre Lost Sirens) après le départ de leur bassiste Peter Hook, les New Order étaient attendus au tournant pour ce nouvel album et comme à chaque fois dans cette situation, ils ne se loupent pas.
Music Complete, superbement couvert par le légendaire compagnon Peter Saville, est un album synthèse qui célèbre le retour à une forme d’électronique hédoniste que plus grand monde ne pratique aujourd’hui. Accueilli par certains comme le fantôme de Technique, l’album le plus important de New Order, Music Complete est un peu plus que ça et se pose en synthèse audacieuse et magnifiquement produite de tout ce que le groupe a pu proposer depuis 30 ans. Comme chacun le sait, il n’y a, en 2015, plus grand-chose à inventer, ce qui n’empêche pas d’essayer. Lorsqu’on a tant fait pour la cause, la meilleure façon d’avancer est peut-être tout simplement de… laisser parler son cœur et de jouer comme on respire. New Order n’est pas Madonna et n’a jamais cherché à vampiriser l’air du temps pour exister. Music Complete, et c’est l’une de ses qualités, ne sent pas le travail, ni la manœuvre. Gillian Gilbert est de retour après une longue absence plus ou moins volontaire (enfants, maladie) et permet aux claviers synthétiques de concurrencer à nouveau les guitares. Le bassiste remplaçant, Tom Chapman, fait de son mieux pour faire oublier Peter Hook, ce qu’il ne parvient pas tout à fait à faire, passant d’un mime dangereux sur certains titres à des parties que le bassiste originel n’aurait probablement pas assumées. Sumner est quant à lui en grande forme, alignant des textes précis et délicieusement post-adolescents. Cela paraîtra sûrement un peu louche aux fans de la première heure, si on disait qu’on a aimé aussi cet album pour ses textes mais c’est le cas. Le chanteur est magnifique ici : sa voix est à la fois sensuelle et désincarnée, universelle et terre à terre. Il enfile les perles poétiques avec à-propos et accueille avec talent une liste d’invités qui bonifie chaque partition. Sans vouloir en faire trop sur les « talents d’écriture » du bonhomme, on mettra en avant sur Superheated, cette entame splendide : « Sometimes I Wake up, and the sky is grey, when you are not here by my side I see your make up on the shelf and with a photograph of someone else ». Le reste de la chanson est à l’avenant. C’est simple comme du Robert Smith, niveau 4ème/3ème mais c’est imparable.

Mais évidemment, on n’est pas là (que) pour ça. Ce dixième album de New Order est avant tout une tuerie mélodique. Cela démarre avec le single Restless au refrain duquel on n’échappe pas. Le morceau, qu’on a épuisé depuis deux mois, est d’une élégance remarquable : la ligne de basse est magnifique et le chant laid back de Sumner à son zénith. C’est une entrée en matière tête haute et qui annonce la couleur. Singularity qui suit nous prend par surprise. On pense d’abord que Chapman va s’essayer tout du long à singer Hooky, quand le morceau se transforme en un bordel électro sans nom. Ce n’est pas du New Order haut de gamme mais le travail de production est plus qu’intéressant, mêlant des sons menaçants et inquiétants qui rappellent les débuts du groupe et une sorte de dérivation club vaguement suffocante. Le titre ne fera pas date mais sert de transition jusqu’au non moins surprenant Plastic. Le titre qui comprend deux parties distinctes est symbolique de cette ambition synthétique qui caractérise l’album. On part sur un truc assez anodin qui à mi-chemin se transforme en une apothéose disco club avec chœurs débiles et squelette bass n’drum (plus que drum n’bass). Comme souvent avec les bons morceaux de New Order, on se situe ici sur le fil du rasoir entre le machin vulgaire et franchement mauvais et le génie pur. Plastic manque un peu de souffle pour être rangé dans la seconde catégorie mais la tentative est quand même plus que louable. Histoire d’enfoncer le clou, les Mancuniens rejouent aussitôt le même numéro d’extravagance avec Tutti Frutti. Sumner chante comme Damon Albarn I feel so crazy these days ») avant de sonner comme une Rihanna sous Diazepam sur le reste du morceau. Qu’est-ce que c’est que cette daube ? Cela faisait un bail qu’on n’avait pas écouté un tel truc. La reprise à 2 minutes 30 nous rappelle les Happy Mondays et l’arrivée de la superbe La Roux plonge le morceau dans un brouillard sensuel à couper au couteau. Le nombre de bpms chute de manière incroyable et on se termine au ralenti dans la moiteur d’une Macumba party où un quatuor à cordes fait une apparition surréaliste, tandis qu’un sample italiano nous achève. Ce morceau est d’une audace incroyable et on en redemande histoire de voir si on a bien compris. Chiche. Ou Chic plutôt. Il faut écouter People On The High Line pour le croire. La basse de New Order est funky. Ce n’est plus Peter Hook qui assure mais Nil Rodgers ! Ok, ils avaient déjà fait ça par le passé (sur Power, Corruption And Lies par exemple) mais on ne pensait plus que c’était possible de nos jours. Cette orientation a beau ne pas nous plaire sur le principe, il n’y a guère que New Order qui peut nous faire écouter ça sans avoir envie de nous pendre. Et ils le font à la perfection, une perfection de papys maniaques qui se secouent au ralenti avec les mains en l’air un peu classe et un pull blanc en laine torsadée tandis que des mannequins cariocas se frottent contre leur jean à revers.

Après ça, on se dit qu’on peut mourir tranquille et c’est bien entendu ce qui arrive. Iggy Pop a reçu une carte d’invitation mortuaire pour Stray Dog. Ce n’est pas une si mauvaise idée que cela en a l’air. En mode spoken word, il accompagne à la manière d’une bande annonce hollywoodienne un morceau épique, crépusculaire et tribal. C’est un morceau qui aurait eu fière allure sur la BO de Mad Max, sauf que le texte peut faire penser à Peter Hook. Le vers « I can’t stop drinking../ I’d rather be a lover than a liar » pourrait être assez mal pris par l’atrabilaire bassiste. Iggy Pop s’endort ou se transforme en loup garou à la fin. Ce titre hanté est magnifique, terrifiant aussi. Nous sommes au cœur de la bête : une bête New Order qui n’en finit pas de changer de visage, une sorte de Janus qui aurait le pouvoir de faire des grimaces d’il y a vingt, dix ou trente ans. Academic est un titre de Bad Lieutenant, le groupe de Chapman et Sumner. Il en a l’air. Les guitares sont à la manœuvre. C’est plus banal, trop long mais ça passe. Ce qui a foiré ici (un manque de dynamique), réussit sur Nothing But A Fool qui s’élève, à la guitare également, au-dessus de la mêlée. Après la descente dans l’enfer des clubs, on a l’impression de revenir sur la période la plus récente du groupe, quand le son indé avait repris le dessus. Étrangement et après la séquence précédente, on se dit qu’on préfère The Wedding Present dans ce registre mais cela n’enlève rien aux qualités de ce morceau. Ok, vous n’aimez plus trop ça ? On vous fait autre chose. Écoutez celle-ci. Vous aimez la techno bien sûr ? Unlearn This Hatred lance la charge façon bourrin. C’est un peu lourd mais ça permet de se rappeler que Confusion était un titre tombé du ciel et jamais égalé. La drogue passe peu à peu dans le sang et le pouls s’accélère. New Order réussit un joli coup et une sorte de rafle sur l’héritage des Chemical Brothers dont l’un des membres n’est pas loin. The Game prolonge l’euphorie stupéfiante. Dans l’œuvre du groupe, il y a finalement assez peu de titres où la batterie mène la danse. Et c’est le cas ici. Le titre se déploie à la limite des genres, mi-pop, mi-électro, mi-rock (oui, ça fait trois demies et alors ?), un territoire où New Order a toujours excellé, sans que cette fois-ci fasse exception. On aime et on déteste à la fois, parce qu’on a cette impression tenace qu’il manque un petit quelque chose pour que le morceau tutoie les sommets. On ne sait pas si ce petit manque qui nous titille vient de nous (trop vieux, trop nostalgiques), de la musique du groupe ou simplement de notre époque. Toujours est-il qu’on finit à genoux sur Superheated. Hyperventilés. Il y a Brandon Flowers bien sûr, tout le monde en a parlé. Mais c’est Sumner qui écrase le morceau en chantant ses amours perdues. C’est beau, c’est vieux et ça fait pleurer. New Order est un groupe qui jongle avec les madeleines. Pas celles de Proust, juste ces trucs sous-vides, délicieux et au beurre, sans véritable date de péremption, qu’on trempait dans la soupe à l’oignon en l’absence de pain, après une nuit de bamboche.

Music Complete ressemble à une suite de Retour Vers Le Futur, quand on s’aperçoit qu’au lieu d’avoir juste un nouvel épisode merdique, écrit par des tâcherons pour le pognon, on a droit à un film qui respecte la continuité, regarde droit devant et magnifie le passé.

PS : zut, on a oublié de citer Joy Division. Joy Division alors.

Tracklist
01. Restless
02. Singularity
03. Plastic
04. Tutti Frutti
05. People on the high Line
06. Stray Dog
07. Academic
08. Nothing But A Fool
09. Unlearn This Hatred
10. The Game
11. Superheated
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1 Comments

  1. says: Phil Defer

    J’ai fait une connerie ce week-end, j’ai réécouté l’album.
    Un gentil disque banal, s’il n’avait été officiellement signé par New Order et officieusement signé par Barney. Et ce bon Barney qui chante maintenant comme Bono…
    Encore deux ans à patienter et ils nous sortent « Blue Monday 2020 » et « True Faith David Guetta Edit ».
    Putain c’est pas beau de vieillir.

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