Iggy Pop / Post Pop Depression
[Concord Jazz]

Iggy Pop - Post Pop DepressionJulian Cope (qui a toujours raison) décrivait ainsi Iggy Pop, en 1991, aux Inrockuptibles : « Il a fait quelques disques médiocres, mais je ne lui en veux même pas. Car il est l’auteur des deux premiers albums des Stooges. En tant que fan, je suis très sélectif : je ne garde à la maison que les disques que j’écoute. Et je voudrais bien en avoir un peu plus d’Iggy chez moi (sourire)… » Julian visait juste : rien que pour l’impulsion Stooges, Iggy mériterait une statue en son honneur ; mais l’iguane, paradoxalement, évoque aussi une immense frustration, un point d’interrogation, un vide dans nos discothèques personnelles. Pourquoi, en effet, possédons-nous si peu d’albums solos d’Iggy Pop ? Réponse évidente : pour deux chefs-d’œuvre absolus (The Idiot et Lust For Life), combien d’égarements métalleux (Beat ‘Em Up), d’albums lésés (Soldier, Party), de collaborations douteuses (Slash sur Brick By Brick) ? Et pourtant, ad vitam æternam, on persiste à placer Iggy parmi les intouchables Dieux du rock. Cela tient également à des merveilles éparses, à des soudaines prises de lucidité indépendantes du contexte album : Candy, The Villagers, Wild America… Autre contradiction inhérente au musicien : l’impossibilité de concilier la sagesse James Österberg à l’enragé Iggy. Le premier délivre des disques assez pantouflards (Avenue B), le second, depuis l’an 2000, s’adresse exclusivement aux skateurs fans de Green Day ou aux nostalgiques n’ayant pas connu les années 60 et 70 (reformation foireuse des Stooges). D’où ce fantasme : le jour où le songwriting reedien de James Österberg s’accorderait enfin aux nécessités rock’n’roll animal d’Iggy Pop – l’un canalisant l’autre sans lui imposer une muselière. Loin du vampire Bowie (qui, dans le rôle du producteur, avait magnifiquement réussi à exploiter cette foudroyante schizophrénie durant l’étape The Idiot), Iggy semblait, depuis maintenant longtemps, un peu paumé : art ou destroy ? Crédibilité ou bien assurance vie (la pub SFR) ? Vieillir digne ou s’en remettre à une jeunesse éternelle un brin forcée ?

En 2016, sans trop pouvoir l’expliquer, un bon album d’Iggy Pop s’apparentait à une urgence. Non pour la crédibilité de l’artiste, mais pour l’auditeur déconcerté par cette discographie en friche, depuis trop longtemps incomplète. Et puis, les décès Lou Reed et Bowie ont probablement laissé des traces difficiles à cautériser. Avec un peu de chance, James Iggy Österberg y placerait un certain baume…

Cadenassé par Josh Homme et Matt Helders (le batteur félin des Arctic Monkeys), Iggy, comme un vœu exhaussé, efface aujourd’hui une vingtaine d’années erratiques. Trop tôt pour dire jusqu’à quel point Post Pop Depression résistera au temps, et qu’importe : pour l’heure, il s’agit d’un disque qui agrippe instantanément et correspond nickel à nos attentes. Le meilleur Iggy depuis… Oui, tant que ça !
Ni crooner ni bête sauvage, l’iguane endosse ici le costume du chic dépravé (à l’instar de sa période Berlin) : courtois, très suave, charmeur, capable de sortir les crocs à tout moment. Car si la colère se dompte, elle ne se laisse jamais envenimer par le souhait du respectable ; la tension gronde et explose via de surprenants sursauts. En effet : le bowiggy de The Idiot entonne son comeback. Autrement dit,  James Österberg et Iggy Pop habitent là un corps identique – façon Cronenberg –, chacun essayant de prendre le dessus pour finalement trouver une entente commune. Folie douce acceptée ? Trouble de la personnalité en voie de guérison ? Le «post» du titre semble indiquer cela : cet album se situe clairement après les outrances, les drogues dures et une schizophrénie qui refusait la cohabitation Jekyll et Hyde. Iggy découvre sa partie James, et James trouve beaucoup de charmes à Iggy.

Musicalement, l’ambiance corrobore cette idée d’ultime séance psychothérapique. Gorgé de riffs saignants toujours retenus, parfois entraîné par une assise funky, Post Pop Depression est un disque de rock, certes ; mais un rock qui préfère la soustraction au déluge cataclysmique, un rock dans lequel chaque note et accord de basse détiennent une légitimité. Ce n’est pourtant guère de l’accompagnement (sur ce point, Post Pop Depression s’affirme comme l’anti Avenue B), la gratte de Josh Homme, tel le chant d’Iggy, fonctionnant à la décharge intimiste, à l’épure qui claque parcimonieusement mais avec sens du métallique (In the Lobby et son riff final, qui semble approuver l’attitude mi-kung-fu mi-zen d’un ex chanteur punk en osmose avec lui-même). Quelque part, le leader des QOTSA est un nouveau Bowie pour Iggy : il déniche la musique adaptée à la légendaire fragmentation de l’iguane, et réussit à lui trouver un vaccin. La boucle est bouclée. Post Pop Depression est une conclusion. La meilleure possible.

Tracklist
01. Break Into Your Heart
02. Gardenia
03. American Valhalla
04. In the Lobby
05. Sunday
06. Vulture
07. German Days
08. Chocolate Drops
09. Paraguay
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