Belly / Dove
[Belly Touring]

7.8 Note de l'auteur
7.8

Belly - DoveLe retour de Belly nous projette des années en arrière, à une époque pourtant pas si lointaine (25 ans) où le rock était d’une simplicité biblique. En ces temps-là, on pouvait voir des clips (autres que ceux de Black M et Maître Gims) à la télé, on pouvait lire des revues de rock et considérer les charts (anglo-saxons surtout) sans craindre de s’étouffer. La musique elle-même était simple, sans transgenrisme forcé et bouturages élaborés des genres et des sons. Belly figurait déjà en 1993-95, durant les années de sa plendeur d’excellent groupe mineur, parmi les formations « classiques » du rock à guitares. Tanya Donelly, sa chanteuse et compositrice principale, avait fait ses armes au sein de The Throwing Muses, frayait avec The Breeders, revenu depuis tout en nerfs, et représentait la branche « sage » (et non toxicomane) d’un rock féminin combatif, inspiré et responsable. Après l’excellent Star en 1993, le redoutable Feed The Tree en tube étendard, puis un second album, pourtant bien troussé, King, passé à la trappe médiatique, Belly avait sombré, un best-of tardif rappelant combien le groupe aurait pu espérer mieux. La brit pop s’effondrait. Le rock alternatif, comme on l’appelait avant, devenait définitivement le « rock indé » tandis que refluaient les canons de la composition classique.

Vingt-trois ans et une campagne de financement participatif plus tard, Tanya Donelly, Tom (guitariste) et Chris Gorman (batteur), le bassiste Gail Greenwood s’y remettent, toujours encadré par leur producteur historique Paul  Q. Kolderie pour un retour aux années 90 formidable et chaleureux. Belly sonne aussi classe et respectable que Fleetwood Mac hier. Certains trouveront que ce n’est pas un compliment mais c’est un plaisir immense que de retrouver les choses ordonnées avec ce soin et cette simplicité. Belly ressuscite le rock alternatif à l’identique. Les paroles sont assez conventionnelles, les harmonies de guitares aussi. La voix est intacte, somptueuse et reste 25 ans plus tard l’atout séduction majeur du groupe. Il reste difficile de résister aux modulations de l’Américaine. Et même si les chansons de ce retour aux affaires ont souvent une minute de trop (l’enthousiasme), on ne se lasse pas d’écouter Donelly sur le virtuose Human Child ou le délicat Suffer The Fools. Dove démarre dans le dynamisme lumineux de Mine, une chanson qui aurait pu venir tout droit de King, l’album mal aimé. Les guitares sont splendides, mélodiques et vrombissantes, tandis que la voix s’élève entre les lignes pour nous faire frissonner et faire circuler l’émotion. La chaleur des retrouvailles est immédiate, diffusant en nous, une émotion, forcément nostalgique, réjouissante. Le miracle/mirage se prolonge sur Shiny One, un autre morceau uptempo. Belly n’abusera pas ici de ces morceaux pétillants. L’album est équilibré jusque dans son absence de tube manifeste. Le groupe joue ses gammes et déploie sa maturité en naviguant entre les genres et sous-genres du rock alternatif avec une belle assurance.

Alt.rock puissant et typiquement américain sur Faceless, pop à tiroir sur l’impeccable Girl, l’un de nos morceaux préférés du disque et qu’on peut lire comme un hommage posthume au talent défunt de la chanteuse des Cranberries. Le groupe est pop au ralenti et folk US sur le lent et magistral Quicksand, carrément country sur Artifact mais sait aussi en mettre plein la vue sur le très Breeders, Army of Clay, un autre sommet du disque. L’une des grandes qualités de Donelly est d’être à l’aise dans l’ensemble des registres du rock féminin : elle peut jouer la femme fatale, l’ado mutine ou la jeune fille en pleurs. Cela marche de la même façon. Elle crie sur son mec, se lamente de son départ puis enjôle. Ce qui fonctionnait à la perfection quand elle avait 25 ans marche toujours en mode quadra avancée, déclenchant un désir adulte d’une nature nouvelle, tout aussi sexuel que par le passé mais moins fougueux et comme porté par une expertise spectaculaire venue de la pratique. Finies les éjaculations précoces, les emballements et les positions compliquées. La sensation est troublante comme si Dove nous autorisait, par sa décontraction et la limpidité de sa construction, à « faire notre âge » et à abandonner les effets lift surjoués. On peut faire aussi bien sans électro, ni volonté de se renouveler. La bonus track (une pratique ressuscitée elle aussi) est irrésistible de ce point de vue.

Dove s’affirme au final comme un bel album « mature », l’album qu’on aimerait écouter si on ne se prenait régulièrement pour un jeunot en écoutant du garage, du néo-punk pour éviter de vieillir de manière précoce. Ce rock est rassurant et n’a rien de pépère. Enfin si… Il n’y a pas de honte à s’affaler dans un dinner/restaurant franchouille après la séance ciné du samedi. Il n’y a pas de honte à préférer les pipes au coin du feu aux virées en boîte de nuit. Dove porte bien son nom. C’est un album qui sent bon la paix des ménages et la paix de l’âme.

Tracklist
01. Mine
02. Shiny One
03. Human Child
04. Faceless
05. Suffer The Fools
06. Girl
07. Army of Clay
08. Stars Align
09. Quicksand
10. Artifact
11. Heartstrings
Bonus track
Écouter Belly - Dove

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