« No, i am not the same i am now », répète inlassablement Paul Carter sur le splendide Due To adverse weather conditions all my heroes have surrendered, deuxième morceau épique de ce grand album du retour. Cela faisait juste treize ans que les Anglais de Flotation Toy Warning n’avaient pas sorti d’album. En 2004, Bluffer’s Guide To The Flight Deck avait ébloui tout le monde avec sa luxuriance, son ambition et la qualité de ses compositions pop. Voilà des choses qui n’ont pas changé dans l’univers des Londoniens et expliquent pourquoi tout le monde, depuis le label Talitres jusqu’aux quelques amateurs qui s’en souviennent ont attendu le retour du groupe avec une certaine impatience.
Qu’on se rassure, The Machine That Made Us est plus qu’à la hauteur des espérances. C’est un album splendide, imposant avec ses dix titres dont plusieurs émargent au-delà des sept minutes, et qui entretiendra la réputation de perfectionnisme et de jusqu’au-boutisme du groupe. La pochette, le titre des morceaux, les mélodies, les arrangements, les titres à tiroir : tout ici apparaît tel qu’il est, à savoir mijoté, travaillé en studio, collectivement et individuellement, pendant des heures et des heures, sur des années de distance. Le groupe n’a pas été actif durant toute cette longue absence mais s’est dispersé pour vivre sa vie. On dit rarement ce que ces absences ont de salutaire pour la créativité mais sans doute vaut-il mieux ne rien faire pendant quelques temps plutôt que de s’imposer un rythme qui aboutit immanquablement à des albums bâclés. The Machine That Made Us dégage une formidable envie de faire de la musique, de raconter la vie. Cette envie irrigue chaque morceau et donne à l’ensemble des titres une force et une énergie bouleversantes. L’album lui-même est moins psychédélique et rock que le précédent. On est toujours saisi dès l’entame par l’air de parenté avec The Divine Comedy des premiers temps qui émane du chant de Carter. Ce n’est pas tant la voix que la manière de chanter et de raconter des histoires. Mais l’allégresse et la légèreté de Neil Hannon sont remplacées ici par une forme de concentration et de majesté romanesque qui confèrent au tout un attrait et une solennité particuliers. On pourrait dire du bien de chaque titre pris un à un. On ne se l’interdit pas mais ce serait sûrement manquer de respect aux autres morceaux que de ne pas le faire équitablement. La dimension orchestrale, voire burlesque, caractérise toujours le son de Flotation Toy Warning mais semble ici contaminée par des dérangements, des dissimulations de production pop qui enrichissent considérablement les niveaux de lecture. La musique se déploie comme une succession de couches superposées, renvoyant chacune à un niveau de réalité différent. On passe d’une narration intimiste à un récit mythologique, puis à une évocation fantomatique, au fur et à mesure que les aplats de musique viennent couvrir le « flow » du narrateur. La musique est souvent comme brouillée, effacée, pour mieux séduire et charmer l’auditeur. C’est évident sur à peu près tous les morceaux mais encore plus vrai sur un titre comme A Season Underground où le motif principal fait l’objet de multiples disparitions/résurrections. L’ensemble y gagne en mystère ce qu’il perd parfois en lisibilité. La voix est loin d’être le seul point d’attention du récit mais parce qu’elle sert de fil conducteur à l’ensemble est au cœur du mécanisme émotionnel qui se met en place. Elle affleure puis plonge en eaux profondes, jaillit puis est de nouveau gommée, voire transformée par des filtres. Ces techniques qu’on a déjà vues, par exemple, chez les Flaming Lips sont ici particulièrement efficaces.
Que dire d’un morceau comme I Quite Like It When He Sings ? On pense à du Sparklehorse pour l’émotion mise à nu, la tristesse et le sentiment de pénétrer l’intimité du chanteur. On pense à Syd Barrett pour la beauté du geste et à Daniel Treacy pour la manière d’habiller la chose avec deux bouts de ficelle enfantine. Mais lorsque le morceau se redresse autour de la quatrième minute, Flotation Toy Warning pénètre dans son propre espace musical, un espace qui est tendu entre le pub rock des origines, une musique à chanter et à écouter en groupe, le crooning et la pop en verre. L’extrême fragilité et l’arrogance se mêlent, la fierté et la morgue des destins brisés, l’assurance du génie et la modestie de celui qui reparaît à la surface après une longue absence. On peut entendre tout ça ici mais aussi tout ça ailleurs.
« I came here today to tell you it is the end of the world as you knew it…. I will leave here tomorrow alone… i dont need you anymore », démarre Carter sur King of Foxgloves, une chanson de rupture magnifique. Le départ s’énonce comme une mort prochaine. Les détails donnent du corps au texte, tandis que le mouvement même de la musique vient peu à peu introduire le doute dans la décision de partir. Une contradiction est introduite qui vient mettre en opposition le chant et la musique, comme si cette dernière parce qu’elle est ce qu’elle est venait s’opposer au départ. Jusqu’au bout, le suspenses est maintenu. Quel que soit le registre dans lequel travaille le groupe, la réussite est totale. Chant de marin ou assimilé (When The Boat Comes Inside Your House), ritournelle onirique et instrumentale (Driving Under the Influence of Loneliness) ou chanson de sortie psychédélique (le monumental The Moongoose Analogue), tout ici taquine la perfection sans jamais y prétendre. La musique de Flotation Toy Warning est d’autant plus précieuse qu’elle n’est jamais démonstrative ni arrogante. Tout est fait avec une délicatesse extraordinaire, une manière de ne pas y toucher qui rend l’ensemble particulièrement impressionnant en même temps qu’il le privera, aux oreilles de ceux qui l’écoutent un peu trop nonchalamment d’un certain impact.
The Machine That Made Us ressemble à bien des égards aux meilleurs travaux de Grandaddy. Il les prolonge par sa complexité, l’amplitude de sa vision, sa capacité à ouvrir des voies nouvelles, à explorer les recoins d’une idée, d’un motif mélodique, mais en désamorce aussi par là toute tentation de séduction immédiate. Il n’y a pas ici de recherche de tube ou de refrain facile à retenir. La séduction est diffuse, la potion longue à produire ses effets. Grandaddy a toujours pu reposer sur l’immédiateté produite par son clavier magique. La séduction de Flotation Toy Warning vient au bout de longues minutes. Elle se sème note à note. Les deux ou trois dernières minutes de The Moongoose Analogue sont remarquables. Le piano exécute deux ou trois notes. Il les économise. Il y a un contre-chant qui seconde la section rythmique et toujours ce sentiment que le travail est en train de se faire en studio. La sophistication extrême est atteinte lorsque l’œuvre aussi élaborée soit-elle donne le sentiment qu’elle pourrait évoluer ou qu’elle vient de se faire. C’est ce qui ressort de l’album entier : l’idée qu’il marque un aboutissement du processus créatif et de longues années de labeur mais aussi qu’il a été préparé sur le pouce, spécialement pour nous, et juste quelques minutes avant qu’on arrive.
Il y a peu d’albums comme celui-ci. Il faut en profiter.
02. Due To Adverse weather conditions all my heroes have surendered
03. Everything that is difficult will come to an end
04. A Season Underground
05. I quite like it when he sings
06. King of Foxgloves
07. When the boat comes inside your house
08. Driving Under the influence of loneliness
09. To live for longer slides
10. The Moongoose analogue
Excellente chronique d’un excellent album. Presque à la hauteur du parfait premier opus.
Vos analogies, comparaisons, sentiments évoqués rejoignent totalement ce que j’ai perçu.
Il y a en effet un peu de tout ce que vous avez dit dans cet album majestueux mais FTW fait avant tout sa propre musique, totalement unique et miraculeuse.
Et rien que pour ça, qu’ils soient mille fois remerciés.
Merci. Oui l’album est très très bien et s’écoute sans fin. Indispensable pour l’été.