Thousand / Au Paradis
[Talitres]

9.5 Note de l'auteur
9.5

Thousand - Au ParadisC’est une drôle de sensation. Petit flashback : qui, parmi les plus vieux d’entre-nous, imaginait il y a 25 ans un Dominique A ou un Katerine en tête de gondole de la frange la plus rock de la chanson française, paradant sur une scène zénithale à récupérer d’improbables trophées musicaux, se frayant une place entre des Obispo et des Calogero ? Projetons-nous dans 20 ans, quand Philippe et Dominique seront devenus les bons papis de la chanson française qu’étaient il y a peu Christophe ou Alain Bashung : qui pour prendre leur place de trublions au passé indé, victorieux incontesté entre un Big Flo sans Oli et un Jean-Claude Gims (oui, il aura changé son prénom) ? Thousand évidemment ! Au Paradis qui sort ces jours-ci sur le label bordelais Talitres voit Stéphane Milochevitch confirmer que le virage francophone pris avec son précédent disque, Le Tunnel Végétal n’avait rien d’un incident. C’est au contraire l’affirmation, la confirmation d’un véritable talent de la trempe de ces artistes qui font la fierté de la chanson française, celle qui nous a éduqués, celle avec qui nous avons grandi, celle pour laquelle nous dirons avec fierté dans 20 ans : nous y étions !

L’évolution du son de Thousand est remarquablement linéaire : des débuts confidentiels mais salués sur le label aveyronnais Arbouse avec Guilhem Bramier des excellents Madrid (Thousand & Bramier, deux albums de folk americana dans le sillage de Silver Jews) aux premières escapades solo plus aventureuses, toujours sur Arbouse puis sur Talitres, à la recherche d’un son, mais toujours en anglais pour en arriver à cette révolution francophone salvatrice. Qu’une telle plume enlevée et cultivée ait mis tout ce temps à s’affirmer dans sa langue natale peut paraitre surprenant tant Stéphane Milochevitch semble aujourd’hui à l’aise, tant avec l’écriture que l’interprétation.

Bien sûr, bien qu’incontestablement sur la bonne voie, Thousand n’est pas encore en mesure de complétement s’affranchir de quelques uns de ses prestigieux ainés. Ainsi, de Bashung, il retient le goût des bons mots, des allitérations magiques (« la mélancolie d’Abel en colère », superbe) et un phrasé nonchalant et maniéré en passe, si ce n’est déjà fait, de devenir une véritable signature vocale. De Murat, il garde le jeu de la provoc vulgos, les évocations sexuelles aussi explicites que joliment imagées (Mon Dernier Voyage, Vue Du Fond De L’Aquarium, Au Paradis), un amour des chœurs féminins qui sont bien plus que des faire-valoir (la précieuse Emma Broughton présente sur la plupart des titres) mais aussi les discrètes références à sa Lorraine natale. Mais ce qui est frappant sur Au Paradis, plus encore que sur le précédent, c’est la densité des références dont grouillent les textes de Stéphane Milochevitch.

La langue de Thousand court de la mythologie au parlé des cités qui empruntent beaucoup à l’arabe, en passant par de multiples références bibliques. Elle joue avec les codes poétiques (la dormeuse du Walhalla que l’on retrouve dans un trou de verdure où chante une rivière de larmes), se nourrit de références culturelles pointues, d’astrophysique et de religion. Celle de Milochevitch, à l’image de cet autel fait de bric et de broc qu’il se constitue autour de sa propre figure, n’attend pas la mort pour conduire Au Paradis : artificiel, sexuel, religieux, ce paradis est vivant, jouissif, généreux mais aussi quelque peu ésotérique, diabolique et complexe.

Et si Thousand fait partie de ces artistes pour lesquels la démarche d’écriture se doit d’être pointue et exigeante, requérant au passage un surcroit d’attention de l’auditeur curieux, il fait le choix de l’accompagner d’une pop tout aussi sophistiquée, loin, très loin de ses débuts boisés et dépouillés, marchant sur les traces d’un Mustango ou d’une Fantaisie Militaire. A la fois emprunte de classicisme mais surtout résolument moderne, elle forme un écrin qui s’avère des plus luxueux. Sa richesse se dévoile écoutes après écoutes, à mesure que les textes livrent leurs secrets. Les arrangements soignés (cordes, claviers) servent des mélodies en totale osmose avec les textes pour livrer un album d’une grande cohérence, sans aucun temps faible et où les temps forts succèdent aux moments magiques. Parmi ceux-ci, Le Bâton Ivre qui conclut le disque est une prouesse aérienne qui élève l’auditeur « sur le dos d’un flamagenitus » haut vers les cieux. Comme il se doit, Au Paradis.

Thousand — Mon Dernier Voyage

Tracklist
01. Merle Hagard
02. Jeune Femme A L’Ibis
03. Mon Dernier Voyage
04. Le Rêve Du Cheval
05. Vue Du Fond De L’Aquarium
06. Au Paradis
07. Le Masque du Fou
08. Aux Enfants De Saturne
09. Des Fleurs Dans Un Feu
10. Le Bâton Ivre
Liens
La page Discogs du groupe
Le groupe sur Facebook
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