Il y a 40 ans mourait Nick Drake…

Nick DrakeNick Drake compte désormais et à jamais parmi les figures mythiques de la pop anglaise. Retrouvé mort dans sa chambre le 25 novembre 1974 à 26 ans d’un mauvais dosage (ou d’une surdose volontaire) d’antidépresseur, le jeune prodige de la guitare a laissé trois albums somptueux marqués par leur intensité poétique et leur profond désespoir. Pour l’anniversaire de sa mort, sa famille a concocté un merveilleux livre testament et gravé l’enregistrement de son unique Peel Session.

On aimerait bien que, comme d’autres l’ont fait en leur temps, cet article amène une ou deux personnes qui n’en avaient jamais entendu parler à écouter la musique de Nick Drake. Car Nick Drake fait partie de ces quelques chanteurs dont la découverte prend presque toujours des allures de révélation. La nôtre s’est faite (à l’ancienne) en découvrant la musique du jeune homme au début des années 90 chez Bernard Lenoir. Elle ne nous a plus quittés depuis. Five Leaves Left, Bryter Layter et Pink Moon sont devenus des compagnons de route et des disques de chevet irremplaçables et les piliers d’une discothèque intime consacrée à la poésie de la jeunesse, à la dépression lunaire et à la pop. La pop, les amateurs le savent, est contrairement à ce que l’on croit parfois un univers radical et extrême où il s’agit d’être le plus heureux ou malheureux du monde. La plupart des chansons se résolvent dans la tristesse et les larmes, dans la mélancolie et le chagrin. A ce jeu-là, Nick Drake était le plus fort ou le plus faible, le plus beau et le plus juste aussi.

Remembered for A While

Nick Drake est le croisement improbable, pour ceux qui l’écoutent (forcément seuls), entre Arthur Rimbaud et Orphée, une sorte de poète triste et condamné dont la lyre aurait été remplacée par une guitare acoustique. Nick Drake qu’on pourrait qualifier de petit bourgeois du Sud de Birmingham, élevé dans une famille aimante ayant passé de nombreuses années en Birmanie, était né avec la musique dans le sang. Il avait découvert sérieusement la guitare à 18 ans, lors d’un séjour en France, qui précéda son entrée à l’université où il étudie (comme c’était à prévoir) la littérature anglaise. A cette époque-là, jouer de la guitare n’a rien d’exceptionnel. Ce sont les années folk, où Dylan, Fairport Convention et quelques autres tiennent le haut du pavé. Il rencontre un autre étudiant Robert Kirby qui arrangera ses deux premiers albums puis le producteur Joe Boyd qui l’accompagnera durant toute sa carrière. Le reste est décrit assez précisément dans le livre somptueux qui sort ces jours-ci sous le titre de Nick Drake, Remembered For A While et présente un ensemble inédit d’éléments biographiques, iconographiques, nombre de ses textes manuscrits, des photos rares et des témoignages rassemblés depuis sa mort. L’ensemble donne un magnifique objet, vintage, épais et passionnant, concocté avec amour par la sœur même du poète. Le texte complète assez bien la biographie de Patrick Humphries sortie il y a quelques années et qui tentait plutôt habilement de repositionner Drake dans son époque. Car attention à l’art funéraire qui vous ferait prendre le mouton pour un agneau !

Le risque avec un tel type (son visage d’ange, son destin tragique, etc) est évidemment de construire un mausolée autour de Drake et de sortir pour qualifier sa musique les mêmes superlatifs débiles que d’aucuns galvauderaient pour décrire… Grégory Lemarchal. Drake était pendant longtemps un mec plutôt cool, un bon sprinteur et un excellent joueur de rugby. On peut supposer qu’il s’amusait bien et n’était pas insensible aux idéaux détendus (du gland) des hippies. Son béguin pour Françoise Hardy était un fantasme mais permet de lui redonner une épaisseur terrestre que son style de musique (le folk à ailes) tend à faire passer au second plan. Peu importe à vrai dire d’où vient cette musique extra-terrestre, si elle relève de la pathologie ou de l’expression de la dépression, si elle relève de l’angélisme ou du lent éloignement des choses de la vie qui sembla le gagner progressivement.

Mausolée

Les titres gravés pour la BBC (et miraculeusement retrouvés dans une version captée à même le poste de radio de l’époque) en 1969 montrent que Drake n’était pas une truffe sur scène comme on le croit parfois. Sa biographie nous apprend qu’il n’aurait pas dédaigné le succès et qu’il n’avait jamais rêvé de devenir un artiste maudit. Son jeu de guitare est splendide et son chant pas mal non plus. La complexité de ses morceaux saute aux oreilles sur chaque approximation et on se dit que ça valait la peine d’attendre tout ce temps pour entendre ça. Sauf à être un fan absolu, on n’investira pas dans la version Deluxe du livre qui est la seule à intégrer les enregistrements perdus. Ceux-ci sont désormais en ligne sur youtube. La version « commune » sera bien suffisante pour se rendre compte de ce qu’on a perdu.

Les héritiers

Pour le reste, on conseillera bien sûr de se procurer ses trois uniques albums en gardant le deuxième Bryter Layter pour la fin. Sa production peut déconcerter par sa luxuriance quand bien même avec Fly, Sunday ou Northern Sky, l’album abrite parmi les plus beaux titres de Drake. On peut se passer compte tenu du peu de matériau disponible de recourir au best of et compléter le trio avec la compilation Time of No Reply qui réunit à peu près tout ce qui reste. Les fans auront déjà le disque de sa mère (dont on avait parlé il y a quelques années) ainsi que le bootleg dit Tanworth In Arden de ses enregistrements maison.

Quarante ans après sa mort, les héritiers de Nick Drake sont nombreux mais assez rares à vraiment sonner comme lui. On peut citer bien entendu Will Straton, un américain dont le jeu de guitares est très ressemblant, et plus récemment encore mentionner The Callstore, un anglais cette fois, qui sonne plus comme Leonard Cohen que comme Nick Drake.

Contrairement à d’autres mythes du rock (Hendrix, etc), Drake n’a pas eu de poids historique dans l’évolution de sa discipline : quelques imitateurs bien sûr, quelques accords de guitare caractéristiques qu’on peut retrouver à droite à gauche, mais aucune portée, ni influence de quelque ordre que ce soit sur le cours des choses. C’est cette capacité à inscrire son nom sur l’eau qui renforce son attrait et l’impression que dégage sa musique de n’être là pour personne mais d’y être pour l’éternité.

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