Il faut le voir, du combo cuir/vinyl vêtu, ganté, torse-nu sous son perfecto, debout sur le toit de son break, les cheveux flottant au vent par l’effet sacrément spécial d’un ventilateur habilement disposé, se dandiner lascivement au son de ses propres morceaux qu’il joue un peu où il entend les jouer, concert improvisé, happening musical où bon lui semble, qu’il s’agisse d’un dépôt de bière ou de l’hyper-centre ultra touristique de Colmar, au sommet des Vosges ou au milieu de l’A35. A vrai dire, il y en a vraiment peu des personnages ou des personnalités, on ne sait pas trop où se situe la frontière, si frontière il y a, comme KG, l’une des entités derrière laquelle l’alsacien Rémy Bux agit en toute impunité. Hommes aux multiples vies musicales et pas des plus confortables, il assène depuis près de 30 ans sa musique comme on prendrait un coup de poing dans la gueule : ça surprend, ça fait mal, ça pisse le sang mais à croire qu’on est tout autant que lui branché cuir, c’est tellement bon qu’on en redemande. Ça, KG l’a bien compris et après une première vie menée tambour battant de 1993 à 2002, il a décidé depuis 2014 de se rappeler à nos bons cauchemars.
Si Ein Mann Ohne Feind qui sort sur les labels de la plaine du Rhin, October Tone à Strasbourg et Mediapop à Mulhouse est le septième album de KG, il est en réalité de troisième de cette nouvelle vie distincte, celle dans laquelle Rémy Bux sort d’un anonymat strictement respecté dans la première partie de son existence musicale pour offrir corps et chevelure soignées à ses hordes de fans. Une véritable trilogie de pochettes en noir et blanc au cours de laquelle on est passé du beau gosse un peu mystérieux (le formidable retour avec Passage Secret en 2014) à la lascivité moquettée post hard FM (l’étonnant Jesus Weint Blut 5 ans plus tard) puis à présent à l’un des portraits les plus malaisants qu’il soit, quelque part entre le reptilien télépathe, la gueule cassée de la grande guerre et un John Merrick des bords de l’Ill. Les images n’ont rien d’anodin : elles en disent long sur l’ensemble de l’univers visuel et musical complétement singulier que se crée cet artiste véritablement hors norme dans nos contrées. On a beau tourner la question dans tous les sens, le degré de lecture est souvent difficile à appréhender : KG fait un peu peur comme ça mais est sans doute le genre de type à aider les mamies à traverser la rue avec leurs caddies en quittant le marché. Musicalement, c’est la même chose. S’il cherche à donner à son univers une tonalité particulièrement sombre, digne des grandes heures claustrophobes du post-punk et de la cold wave, sa musique, elle, respire les grands espaces même si ça n’a pas toujours été le cas. Fait d’allers et de retours entre rock (très) bruyant, electro-clash complétement givrée et une techno particulièrement mélodieuse et évocatrice, le parcours musical de KG n’a rien d’une paisible balade.
Qui l’a cru quand il annonçait son Adieu à l’électronique en 2002 sur un album évidemment 100% électro, puis quand il réapparaissait plus rock et noisy que jamais 12 ans plus tard, en sera pour ses frais : KG, L’Homme Sans Ennemi a composé un album pour lui tout seul, pour ses concerts au backline minimal perché sur le toit d’un break de chasse. Un album de nouveau essentiellement électro qui rappelle à bien des égards son ainé de 20 ans tout en se nourrissant de ses aventures plus récentes. A l’image de ses ondulations électroniques, la musique de KG n’a rien de linéaire et il prend un malin plaisir à dérouter l’auditeur, fan de toujours ou nouvellement entré dans son univers. Ainsi, l’arabe qui avait surpris son monde en débarquant sans crier gare sur l’album précédent avec le superbe Al Bintou Fi Al Maktabi qui scellait son union avec la new wave revient en introduction de l’album, mais cette fois dans un mode traditionnel complétement déroutant : mais quelle direction va donc prendre ce nouveau KG ? La fin du morceau, brutalement enchainée, glaciale, est sans équivoque : il prendra la direction qu’il voudra et qui l’aime le suive. Seul aux commandes de ce nouveau disque, Rémy Bux explore de nouveau les confins d’une musique électronique qu’il façonne à son image.
Car si la musique de KG est le plus souvent rythmée, parfois même martiale, c’est généralement son côté évocateur, presque rêveur qui retient l’attention. Si Rémy Bux n’a jamais choisi entre le dézingage à tout va et l’approche mélodique finement travaillée, c’est pourtant malgré tout souvent ce second aspect qui prime et que l’on retient. Il fait partie des musiciens qui font de la science de la nappe synthétique un art à part entière, une matière brute qui se travaille, se module, se triture pour la rendre complétement hypnotisante et complémentaire d’aspérités parfois radicales, créant ainsi un impressionnant équilibre harmonique. Lorsqu’il pousse dans le rouge les curseurs technoïdes, il se fait diablement emballant et même franchement dansant. On se voit sans peine se trémousser sur La Barrière De La Peau collé au mur d’enceintes d’une free party dans une carrière abandonnée ou sur le plus deep house B14715 avec son esprit clubbing chic. Dansant encore lorsqu’il reprend son emblématique série de titres avec S.p.e.c.t.r.e.11 et qu’il ressort cette basse hookienne sur laquelle il excelle en créant un gimmick magique qui structure l’emballement final d’une densité subjuguante.
Ce sont parfois des nappes de guitares qui traversent certains morceaux comme des ondes électriques abrasives, que ce soit sur le très cold wave Gehemhühnchen ou le plus italo disco Morgen Oder Nie digne d’une virée en décapotable sur la Riviera mais qui décolle dans un virage et finit dans le ravin. Quand KG sort les pec’, c’est son électro-clash de prédilection qui prend le contrôle, brutal, irritant sur Les Hommes Mentent, Les Chiffres Non qui se termine pourtant en bluette néo-romantique. Loin de l’esprit motorik de Lunik X ou Ruf Mich An qui le range, et pas seulement à coup de vocodeur, du côté de Trans Am, une autre bande de types un peu givrés qui adorent jouer des codes pour perdre leur auditorat dans des strates ou inventivité et révérence se mélangent tellement que l’on ne sait plus à quel degré se vouer. Alors, chic type, pour préserver la santé mentale de ses fans, KG propose en guise de retour au calme une magnifique démonstration de space rock mathématique avec Für X Gegen Minus Unendlich qui nous perd dans les limbes infinis.
Tel un super héros cold wave dans sa tenue de cuir, KG semble indestructible. Le temps n’a aucune prise sur son habileté à produire une musique libérée qu’on cherche parfois à enfermer dans des carcans souvent renforcés par une trop forte attention portée aux attitudes avec lesquelles il joue tout autant qu’il joue de ses instruments. S’il n’a certes pas inventé le mélange audacieux de la douceur et de la radicalité, il le porte comme un étendard fièrement brandit depuis son premier single en 1993 et quelle qu’en soit la forme, d’une noisy radicale à une électro abrasive, il parvient à chaque fois à garder de l’avance en se renouvelant avec une facilité qui force l’admiration. Non, KG n’a pas d’ennemis et est sans aucun doute le plus gentil des grands méchants qui font peur.