Magoarou / Poésie Rock
[autoproduit]

Magoarou - Poésie RockLa démocratisation des moyens de production a du bon. Poésie Rock ressemble à un cadeau que la vie et l’amour ont offert à Ludovic Magoarou des années après qu’il a décidé de raccrocher les gants. Jeunesse rock, on l’imagine, au sein du groupe La Folie Ordinaire, qu’on ne connaissait pas et puis la vie, l’insuccès peut-être, la famille, le travail. Ludovic Magoarou s’y remet sur le tard, seul, avec quelques amis. Le disque est porté par sa compagne et par un ami fidèle qui a réalisé un travail remarquable sur les arrangements, l’accompagnement et la production. Poésie Rock est une belle réussite, à laquelle on ne reprochera finalement que son titre. On sait que l’expression a déjà été utilisée par ailleurs mais elle n’évoque pas grand-chose, si ce n’est une tentative toujours déçue de faire rimer poésie et rock. A ce stade, on n’avait pas besoin de ça pour apprécier le travail accompli et puis la formule est balourde.

Il y a un air de seconde chance dans cet album qui lui donne toute son intensité et son impact. Cela fait penser au Wrestler, ce film avec Mickey Rourke (pas si bien) où un vieux catcheur qui n’en peut décide de combattre jusqu’à crever plutôt que de se rendre à la vie normale. On ne sait pas trop où Magoarou en est (il semble qu’il soit heureux et bien dans sa peau), mais Poésie Rock sonne au choix entre l’album du comeback ou celui des adieux. Cela démarre en fanfare avec Cavalier Seul, Une Rose au Bout des Dents et Court circuit. « La différence n’est pas permise », chante le bonhomme sur le premier morceau, sorte de manifeste en forme d’échappée belle, où sa voix parlée/chantée revendique son indépendance et sa crâne liberté. Le message est attendu et entendu mais fonctionne à la perfection, porté par une voix plate et « à l’ancienne ». L’ambiance est inquiète, crépusculaire presque, imposant le chanteur en cowboy solitaire (le titre) détaché des contingences. Le deuxième morceau est l’un des meilleurs titres de Miossec qu’on a entendus depuis dix ans. Même découpe refrain/couplet, même manière de tomber sec sur les vers qui tuent. La voix de Magoarou a des limites naturelles qu’il exploite à la perfection ici. L’homme est abîmé mais droit dans ses bottes. Court Circuit conclut ce trio gagnant sur un mode plus pop. Les vers sont courts et imparfaits. Ils pendent dans le vide comme la détresse du narrateur. « On perd le fond, la forme. Est-ce la nuit ou le jour ? Par où la sortie de secours ? » Tout le champ lexical de la désorientation et de la perte de boussole est convoqué mais cela fonctionne à merveille. On retrouvera cet ensemble de qualités un peu plus loin sur le magnifique Longue Route ou sur Transit. Magoarou excelle dans cette manière de balader sa peine et sa carcasse de quadragénaire avancé. Ceux qui touchent au but (cet état adulte encore brave et bien portant mais qui lorgne déjà vers sa propre fin) se retrouveront sans mal dans ces chansons. C’est à la fois touchant et efficace. A quoi bon changer quand on a trouvé son personnage ?

On est plus sceptique sur les morceaux uptempo qui, bien que nécessaires à l’équilibre dynamique de l’ensemble, fonctionnent parfois moins bien. Deborah est une splendide balade amoureuse assez mainstream. L’échappée belle est un tube instantané porté par des guitares accrocheuses qui rappelle les exercices old school de la jeune génération façon Luke et ses amis. Le titre est parfait dans son genre et témoigne des capacités mélodiques de Magoarou. On a plus de mal sur les arrangements rétro de Cap ou Pas Cap, chanson disco et exercice de style à la Gainsbourg qui ne nous rappelle pas que de bons souvenirs. Magoarou y surjoue un côté canaille qui souligne aussi ses limites vocales. On préfère de loin la nervosité rétrospective de Vingt Ans. Le texte est solide, lucide et âpre comme du rock d’aujourd’hui. Magoarou a parfois des allures de Marc Desse qui aurait pris de la bouteille. « Pour tout bagage on a sa gueule, devant la glace, quand on est seul. » Le propos est dur et direct. Johnny n’est pas loin avec Sa Gueule qui pend au nez de tout un chacun. Magoarou évoque naturellement quelques grands noms du rock français. Il est nourri aux mêmes influences que nous et y renvoie sur ses propres morceaux. L’amour debout est chanté à bout de souffle avec la malice d’un Jean-Louis Murat des débuts coquins et primesautiers. On a toujours détesté les chansons érotiques mais celle-ci fonctionne à peu près bien. On croit parfois déceler l’influence d’un Bashung période Play Blessures. Parfois celle d’un Dominique A qui aurait (encore) pris du gras.

La maîtrise des « codes » du rock indépendant est parfaite et suffit à notre bonheur. La principale limite de Magoarou est finalement qu’on ne le connaît pas. Cet album est une somme inattendue et qui se pose comme l’échantillon ou le substitut d’une œuvre qui n’aura pas existé au premier plan. On se dit que « peut-être » dans une réalité alternative, tout ceci nous aurait été encore plus familier. Nous aurions pu rapprocher cet album du précédent et le mettre à distance du suivant. Nous aurions joué notre rôle habituel. Poésie Rock existe en dehors de l’histoire officielle. Il est suspendu devant nos yeux comme un blouson noir au porte-manteau. On ne sait pas pourquoi on l’a raccroché, ni si on rentrera encore dedans. Ce blouson noir semble appartenir à tout le monde. Nous l’avons tous dans notre garde-robes. On le trouve beau et plein de potentialités, tout en sachant qu’il ne servira probablement plus à personne.

Nous sommes la somme des vies que nous aurions pu mener. Leur soustraction aussi. Magoarou fait le boulot. Un peu tôt/un peu tard.

Tracklist
01. Cavalier Seul
02. Une Rose au bout des dents
03. Court Circuit
04. Cap ou Pas Cap
05.Longue Route
06. L’échappée belle
07. Deborah
08. Vingt Ans
09. L’amour debout
10. Transit
11. Regarde les Etoiles
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