Depuis combien n’a-t-on eu envie de s’étendre par terre au milieu du salon en rentrant tard dans la nuit pour s’abandonner complètement à l’écoute d’un disque, seul, dans l’obscurité ? Un bail… Probablement était-ce en 2013 pour écouter The Man Who Died In His Boat de Grouper ou Cloud Room, Glass Room de Pan American… deux disques eux aussi parus chez Kranky auquel on doit tant de disques majeurs (citons seulement ceux de Labradford, Low, et Deerhunter) et avec lesquels Precious Systems, premier album de MJ Guider, partage beaucoup de similitudes. Coupez le portable, montez le son, fermez les yeux, laissez-vous aller, les compositions de Melissa Guion et ses deux compères constituent le meilleur vaisseau pour lâcher prise.
Inspirés par les paysages des environs de la Nouvelle Orléans, où réside la jeune femme, alternance d’espaces naturels et de zones industrielles et commerciales, Precious Systems se vit comme une expérience immersive, un voyage immobile où le temps et l’espace se distendent, les frontières entre beauté et laideur, organique et analogique disparaissent. Le chant fantomatique de MJ donne une dimension mystique à Lit Negative chargé d’ouvrir l’album en lui conférant une dimension dramatique et métaphorique. Cette aura féminine déchire aussi les brumes qui s’étendent sur White Alsatian qui rappelle le génial Beat de Bowery Electric (1996 – toujours sur… Kranky). La musique de MJ Guider est la lumière et l’obscurité, le sommet et l’abysse. Une lumière aveuglante inonde l’accalmie Former Future Beings tandis que des zones d’ombre instillent la peur le temps de Surfacing First. Triple Back, affublé d’une basse coldwave et délayé dans l’écho d’un magnéto à bandes, convoque les Cocteau Twins revenus de l’au-delà. Car c’est là que se niche la musique de MJ Guider : dans le secret de l’intime, par delà la surface de la personnalité, mise à nue et exhortée par une rythmique imparable, plus de dix minutes durant (Evencycle, apothéose de cet album).
Ne pas rallumer la lumière, ne pas revenir à la réalité, rester là, sans bouger, jusqu’à ce que le sommeil nous emmène vers une petite mort.