Noel Gallagher’s High Flying Birds / Chasing Yesterday
[Sour Mash Records / PIAS]

Noel Gallagher’s High Flying Birds / Chasing YesterdayEcouter de la musique n’est jamais autre chose que de voyager dans le temps. Le son n’est rien d’autre qu’un instant suspendu puis passé à la moulinette de nos souvenirs et de ce que l’oreille a pu croiser de dissonances, d’harmonies et de bruit à travers ses années d’existence. Parmi la petite dizaine de règles qu’il est important de retenir si on veut faire ou écouter de la musique (ce qui est à peu près pareil), il faut savoir que l’oreille n’a pas de montre et se fout complètement de savoir quel jour on est.

Il est difficile de décrire ce qu’éprouve une oreille de 2015 à l’écoute du nouvel album de Noel Gallagher : les tentatives d’un mec étendu raide dingue il y a vingt ans en train de courir après des modèles de la fin des années 60. Pour jouer à Ala(i)n Badiou, on se pose tout de même la question : « Mais de quoi Noel Gallagher est-il le son ? » sans parvenir à y répondre. Il faut un sacré cran pour se jeter là-dedans depuis notre époque. Mais l’expérience est tout sauf désagréable. On peut faire la fine bouche : l’ouverture de ce deuxième essai des High Flying Birds tient la route. Le Riverman évoque ce personnage traditionnel rendu célèbre par Nick Drake qui fout un peu les jetons, surtout quand Gallagher le patine au solo de guitares dès la deuxième minute et le renvoie dans ses cordes oniriques en osant le saxophone. A presque six minutes, l’effet est réussi : on descend la rivière en canoë et on dégaine le briquet pour le refrain de coin du feu. In The Heat of The Moment est plus fragile sur sa mélodie mais a une belle allure américaine, des chœurs marrants et un réverb vocal qui fait oublier un temps que deux frères Noel n’a jamais été celui qui chante. Et on continue avec The Girl With X-Ray Eyes, une sorte de Just Like Heaven maison porté par des guitares piquées au Mick Ronson de la grande époque, romantique et bien troussé. C’est qu’on se prendrait au jeu. Yeah ! Lock All The Doors envoie du bois antique. Liam revient au chant (on blague !) et le groupe brode un motif qui oscille entre bonne pop et rock FM. On peut trouver ça balourd ou manquant d’originalité mais pour un disque qui a dû être composé dans la tête d’un gamin de treize ans dans la banlieue de Manchester, c’est tout de même efficace.

Comme il y a quinze titres (dont quatre bonus en Deluxe) et qu’on n’a pas toute la journée, on ne va pas pouvoir se permettre de balayer ainsi tous les morceaux de l’album, d’autant plus qu’on serait amené à se répéter, voire à redire des choses qu’on a déjà écrites sur Gallagher il y a dix, quinze ou vingt ans. Le problème avec les machines à remonter le temps, c’est qu’il y a toujours un moment où l’expérience finit par inspirer un sentiment de déjà vu capiteux et étouffant. L’album est trop copieux et garni pour éviter les trucs qui ne servent à rien (While the Song Remains The Same) ou les machins carrément foireux (The Mexican). Ici, on n’échappe pas à notre propre pesanteur et à cette idée qu’on a dépassé le stade où on prendrait You Know We Cant Go Back au pied de la lettre comme la plus chouette chanson d’amour (perdu) de notre existence. A vrai dire, on croyait être un peu sorti de ce pop rock moisi avant de taper du pied comme un forcené sur Do The Damage et de trouver que Revolution Song (le bonus événement retravaillé à partir de chutes de studio circa 1999) est un beau morceau plein d’espoir. « I may have lost my mind but i believe in another world./ And I am singing the revolution song like nothing matters”, chante Gallagher en sachant parfaitement qu’à peu près 200 autres compositeurs ont écrit exactement la même chanson avant lui pour la placer en fin d’album. Du coup, il la passe en contrebande. Mais on s’en tamponne le bien est fait : on y est déjà venu il y a vingt ans et on y reviendra encore au siècle prochain parce que la musique, c’est aussi une affaire de répétition. Revolution Song donne la frite, la banane, la pêche et en même temps ne cède pas complètement sur la tristesse. C’est de l’art majeur. Il y a deux ou trois chansons/accords qui tournent et qu’on essaie de se refourguer de génération en génération sous des travestissements variés en faisant croire qu’il faut aller de l’avant. Gallagher est probablement le seul gars qui ne croit pas à ces conneries. Il sait que le futur a exactement la même tronche que le passé, qu’il ressemble aux Beatles. Il sait que le futur a trois sous en poche, une guitare et que sa bande son doit manier le feu et la glace, le gai et le triste pour aller jusqu’au cœur.

Il ne dit pas autre chose en intitulant son album Chasing Yesterday et le pire c’est qu’il n’en est pas loin. On est à deux coudées du coup de jeune et du super-lifting spécial « à quatorze euros, c’est une affaire ». Qu’est-ce que vous voulez dire de plus ? On peut aussi écouter ça en 2015 sans brûler en Enfer.

PS : Zut, on a oublié de placer le mot Oasis dans le texte. C’était mieux Oasis, alors ?

Tracklist
01. Riverman
02. In The Heat Of The Moment
03. The Girl With X-Ray Eyes
04. Lock All The Doors
05. The Dying Of The Light
06. The Right Stuff
07. While The Song Remains The Same
08. The Mexican
09. You Know We Can’t Go Back
10. Ballad Of The Mighty I
11. Do The Damage (Bonus Track, Deluxe Edition)
12. Revolution Song (Bonus Track, Deluxe Edition)
13. Freaky Teeth (Bonus Track, Deluxe Edition)
14. In The Heat Of The Moment (Remix) (Bonus Track, Deluxe Edition)
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