Take On Me, Don’t You Want Me, Let Me Go, c’était lui : Steve Barron, le petit prodige du vidéo-clip originel. Retour sur son apport féerique à l’esthétique 80’s, dorénavant perdu tant l’époque contemporaine se veut cynique, et en quoi cette jeunesse nous manque ici et là…
Back to the future
Difficile à croire aujourd’hui, alors que le flux des images devient tellement incessant que routinier, mais au début des années quatre-vingt, chaque nouveauté visuelle était décortiquée, commentée, jusqu’aux débats et aux clashs. La pub, la vidéo et le clip vivaient non pas leurs premiers jours mais une forme d’émancipation. Les produits vendus (une voiture, un parfum, une chanson) se valorisaient au contact d’un technicien imaginatif réussissant à se différencier de la concurrence (d’où la naissance de l’école anglaise personnifiée par Ridley et Tony Scott). Ce phénomène ne dura pas bien longtemps (quatre, cinq ans ?), car l’esbroufe du procédé, ainsi que sa vacuité, finirent par obliger les anciens partisans des « nouvelles images » au mea culpa.
En zappant tout recul, ne jamais oublier l’étonnement et la sidération vécus par le téléspectateur confronté à la modernité 80’s. Pas encore blasé, pas du tout libre de choisir son propre programme (à cette époque, posséder un ordinateur s’apparentait à un luxe), tributaire de trois chaînes TV (puis quatre, cette fameuse La Cinq qui foutait de la pub en plein milieu des films), le public veillait tard le soir pour espérer découvrir la dernière sensation visuelle. Surtout s’il s’agissait d’un clip (ou plutôt, d’un vidéo-clip car le format vidéo supplanta très vite la pellicule). Généralement, outre Les Enfants du Rock, on regardait L’Echo des Bananes.
Certains clips, toujours en se remettant dans le contexte de l’époque (82/85), semblaient laisser planer l’idée que les années quatre-vingt, c’était le futur maintenant. L’époque était en marche, les images bougeaient, tout semblait dorénavant possible. Il n’en fut rien, mais comment oublier ces nombreux mois durant lesquels la contemporanéité conversait soudainement avec le meilleur de la science-fiction ? Pléthore de musiciens, conscients de l’impact d’une image, valorisaient, dans leurs vidéos, cette sensation d’une époque en pleine évolution, gorgée de recoins inédits, prophétiques pensions-nous (naïvement) : David Bowie, Axel Bauer, les Rita Mitsouko, Duran Duran, Tom Tom Club, Peter Gabriel, Michael Jackson, Human League, A-ha…
Sauf que derrière l’esthétique promulguée par ces artistes, trois noms de metteurs en scène revenaient incessamment, jusqu’à prendre le dessus sur la qualité (ou pas) des chansons mises en images : Jean-Baptiste Mondino (le frenchy fortiche), Russel Mulcahy (l’Australien côté en bourse), et Steve Barron…
Together in (Electric Dreams)
Né en Irlande, assistant caméra-opérateur (sur Un Pont trop loin ou Superman) avant de créer sa propre boite de production spécialisée dans le clip (Limelight), Barron, très vite, devient le prodige de ce nouveau médium. Jeune, ultra doué, Barron collabore en premier lieu avec les Jam (pour Strange Town), puis, grâce aux vidéos Ant Music (Adam and the Ants) et I Don’t Like Mondays (The Boomtown Rats), il se forge une solide réputation de stakhanoviste. Mais c’est bien sûr Billie Jean (pour l’ami des lamas) qui permet à Barron de devenir le clippeur le plus demandé, le plus acclamé (avec Mulcahy), le plus respecté. Le culte Billie Jean est tel qu’une rumeur (provenant de France) laisse entendre que le clip aurait été mis en scène par Steven Spielberg (il est vrai que Barron entretient alors avec le père d’E.T. une forme d’innocence, de magie spontanée). Flatté, Spielberg ne démentira pas les suspicions.
On doit ensuite à Steve Barron quelques clips parmi les plus emblématiques de la décennie 80 (qu’importe la qualité des chansons, on cause clips). La liste est longue mais citons : Don’t You Want Me (Human League), Let Me Go (Heaven 17), Promised You a Miracle (Simple Minds), Money For Nothing (Dire Straits), Take On Me (A-ha), Steppin’ Out (Joe Jackson), Gonna Tear Your Playhouse Down (Paul Young), et puis OMD, Madonna (Burnin’ Up, pas le meilleur clip de Barron ni de la Ciccone), XTC, Altered Images, Sandy Shaw, Spandau Ballet, Fleetwood Mac, Tears For Fears, Japan…
New romantics
Pourquoi aujourd’hui parler de Steve Barron ? Probablement car son insouciance nous manque. Là où Russel Mulcahy empilait les images dans une logique contraire à toutes règles cinématographiques, Barron, inversement, croyait fermement en la nécessité d’une petite histoire à raconter : la femme de chambre qui se rêve princesse d’un soir (Steppin’ Out), les amoureux enfants qui se déchirent durant l’âge adulte (Real Men, toujours pour Joe Jackson), une serveuse qui devient actrice (Don’t You Want Me), des hommes plongés dans la solitude suivant le jour d’après (Let Me Go), un extraterrestre pourchassé par un détective (Billie Jean)…
Mais le style Barron ne faisait pas que visualiser des historiettes, il sublimait le look new wave des chanteurs filmés : long manteau, costume glacial, démarches hautement romanesques. En prenant soin de briser la frontière séparant le réel de la fiction.
Dans la plupart des clips de Barron, il y a tout un travail pour ramener la « star » vers un commun admissible. Pour cela, le cinéaste opte pour la mise en abyme : écrans TV, polaroids, cinéma dans le cinéma, rêveries et trivialités quotidiennes à la même enseigne… Pour Barron, il ne s’agissait jamais d’exagérer la pop star filmée, mais au contraire de la rendre friable, accessible à tous, parfois démunie : Morten Harket (le chanteur de A-ha), dans la sublime vidéo Take On Me, est un héros de bande dessinée qui ne peut survivre dans la vie réelle (Barron ajoutera un post-scriptum fataliste à ce clip, au début d’une autre vidéo pour A-ha, The Sun Always Shines on TV) ; Phil Oakey (Human League), pour Don’t You Want Me, est un new romantic qui joue son propre rôle dans le « faux clip » du clip ; les musiciens d’Heaven 17, dans Let Me Go, sont très beaux mais aussi très seuls dans cet univers digne de La Quatrième Dimension…
L’inverse existe également puisque, dans Steppin’ Out, une femme de chambre anonyme, le temps d’une chanson, se mettra dans la peau d’une égérie convoitée.
La mise en abyme, chez Barron, détenait un gage d’humilité : une pop star peut chuter du jour au lendemain, perdre de sa superbe pour retourner dans l’ombre. Et en ces années quatre-vingt où le moindre détenteur d’un tube s’imaginait déjà maître du monde, la leçon Barron, avec le temps, ne manquait pas de clairvoyance.
In fine
En 1985, Steve Barron sortait en France son premier long métrage. Culte ! Electric Dreams était, et reste, une belle romance moderne, spielbergienne (toujours). Le film cherchait explicitement à donner une légitimité à l’insertion de vidéo-clips dans le cadre d’un objet cinéma. Les chansons de Culture Club qui s’insinuaient dans la narration ne servaient qu’à renseigner le spectateur sur les pensées ou les souhaits de Miles (joué par Lenny Van Dohlen). Chaque mouvement de caméra œuvrait avec logique, chaque dérive clip se comprenait. Et puis, le personnage principal, de façon anticipatoire, se nommait Edgar : un ordinateur qui pense, parle, ressent, et aime jusqu’à la jalousie (Her avant l’heure).
Le film fut un échec commercial. Coïncidant avec la dégénérescence du clip. Barron réalisa ensuite d’autres vidéos pour divers musiciens, mais l’âge d’or était passé. L’émerveillement des 80’s laissa place au cynisme et au mercantilisme de la génération Propaganda.
Un peu déphasé, Steve Barron tenta de se reconvertir dans le cinéma familial. Cette dernière partie ne nous intéresse pas.
Crédit photo : capture d’écran du clip The Human League – Don’t You Want Me.