Living Fields est une oeuvre éminemment contemporaine, profitant d’une production panoramique moderne qui ne laisse place à aucune approximation. Un album mûrement réfléchi sur lequel chaque sonorité est parfaitement ajustée. Implacable. Et pourtant, il ne fait pas le moindre doute que Portico (qui a perdu son qualificatif de Quartet) réalise ici son album le plus risqué, le plus déstabilisant.
Pour pallier aux départs successifs de Nick Mulvey puis Keir Vine, le néo trio a invité trois chanteurs pour incarner ses compositions électroniques qui se caractérisent par leur limpidité et leur justesse. Si leur ami Jamie Woon (producteur et chanteur) se la joue James Blake le temps du conclusif Memory Of Newness, un morceau dubstep dans les règles de l’art, on reconnaît surtout le timbre de canard du chanteur d’Alt-J, Joe Newman, sur l’immense single 101 (en référence à Depeche Mode ?), qui colle un spleen poisseux pour le reste de la journée et nous trotte encore en tête des jours plus tard. Le chant contrit du Britannique devenu célèbre se marie à merveille avec l’univers de Portico, sa voix se calant dans les infrabasses, les boucles aiguës insistantes et les crépitements étincelants. Plus loin, l’ultra mélancolique Brittle traîne son mal-être du côté du In Rainbows de Radiohead. Mais c’est Jono McCleery (auteur d’une carrière solo assez discrète, qu’on a entendu chez les voisins de palier, Fink) qui se taille la part du lion sur Living Fields. Son chant d’une puissance incroyable éclabousse les quatre chansons qu’il interprète, à commencer par Colour Fading, mid-tempo langoureux qui donne le vertige – une sensation ressentie il y a des lustres, à l’écoute de Come On Heaven, le premier album d’Alpha.
C’est là la marque de fabrique de Portico : quand d’autres poussent les potards dans le rouge, les Anglais s’appliquent à une stricte retenue. Toute la mécanique de cet album repose sur ce jeu qui pourrait confiner à la pire frustration. Au lieu de propulser leurs compositions dans une dimension radieuse qui les transformeraient pour la plupart en tubes pour dancefloor, Portico ne cède pas un pouce à la facilité. Les mélodies s’évanouissent alors qu’on s’attend à ce que le rythme aille crescendo. La mélancolie habite les recoins et s’insinue partout. Il faut donc plus d’une écoute pour prendre conscience de la toxicité de ce disque. Mais il est alors trop tard.