Tout un chacun a le droit de ne pas apprécier les musiques religieuses et pourtant d’affirmer se compter parmi les fans de Sufjan Stevens ou de Low, d’être sceptique à l’égard de la chanson française est de chérir les albums d’Erik Arnaud, de détester le jazz et de suivre avec avidité la discographie de Portico Quartet et de Jaga Jazzist. Parce qu’il ne faut jamais dire « jamais », parce qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, parce que l’exception confirme la règle, etc. etc. Toutes les formules toute faites et autres fadaises peuvent y passer.
D’ailleurs malgré leur patronyme qui pourrait laisser croire qu’il n’y pas d’équivoque, est-ce que le collectif norvégien fait vraiment du jazz ? Et puis, c’est quoi le jazz en 2020 ? Les plus pugnaces peuvent à loisir méditer et disserter. Il y a certainement un groupe Facebook dédié au sujet.
On est à peu près certain que ce ne sont pas des questions dont s’encombre la bande emmenée par Lars Hornveth depuis plus de vingt ans. Pyramid, comme les 8 ou 9 albums précédents (et une somme incalculable de formats plus ou moins longs), oscille ainsi entre deux polarités : l’une ouvertement organique, l’autre électronique, avec des instruments de rock pour arbitre. Chacun de leurs albums se place entre les deux, avec plus ou moins de réussite entre spontanéité partagée et abstraction désincarnée – le dernier en date, Starfire (Ninja Tune – 2015) se montrant ainsi bien moins convaincant que What We Must (Smalltown Supersound – 2005) par exemple.
Se lancer dans l’écoute d’un album de Jaga Jazzist s’est avant tout s’embarquer dans une odyssée sonore. Pyramid nécessite préalablement d’être prêt à « lâcher prise », au risque sinon de n’entendre ici qu’une figure de style aussi maitrisée que parfaitement exécutée (chacun maîtrise son instrument à la perfection, la production est toujours aussi puissante). C’est bien pour tester la qualité de l’installation hi-fi mais on n’aurait pas souvent envie de poser le disque sur la platine. Probablement certains resteront-ils encore une fois au seuil, au motif que Tomita, le premier des quatre longs morceaux (entre plus de huit et presque quatorze minutes), s’ouvre sur une mélodie de saxophone crépusculaire digne d’une scène dans Mike Hammer lorsque le détective fatigué livre ses doutes avant de reconstituer le puzzle. D’autres seront pris à rebrousse poils par la montée de couches synthétiques très typées 70’s d’Apex, quatrième mouvement de l’album et très nettement électronique. Pyramid est ce point de convergence ou deux monde se rencontrent, dialoguent lorsque des chants évanescents viennent jouer les médiateurs, sont distraient lorsque une guitare ou des cordes viennent se joindre au débat, bataillent comme des gentlemen sur le pré au petit matin, et finissent par fusionner dans un coït charnel. Il reste toujours difficile, au moment de l’intro ou même à mi-chemin de savoir où finira un morceau de Jaga Jazzist, les structures étant inconnues ici. Le groupe s’ingénie même à développer une science du mouvement qui rend inopérante toute analyse. Le résultat peut se révéler déconcertant ou follement inventif – au gré des humeurs de chacun.