Ils ne sont pas si nombreux les artistes qui parviennent à développer une vraie personnalité pop, lettrée et mélodieuse, conjuguée à des textes en français forts d’une réelle dimension littéraire. Soften est de ces quelques-uns et le distingue de l’ordinaire des productions actuelles.
Abandonnant l’usage de l’anglais, ce quatrième album est en rupture par rapport à Rocket Science (Saïko Records – 2012) et affiche une ambition significativement revue à la hausse.
Chant clair et profondément mélancolique, arrangements audacieux, textes poétiques, dynamique rythmique remarquable : Les Heures Blanches présentent une somme de qualités impressionnantes. Mais, au-delà de ce savoir-faire indéniable, servi par un travail de studio en finesse (le mastering est d’ailleurs à faible niveau pour laisser toute place à chaque élément), c’est bien la qualité d’écriture de chacune de ces chansons qui épate chez le Suisse. C’est ce qui fait la différence entre le bon artisan et l’artiste : sa capacité à transcender les règles de l’art.
Nils Aellen est capable d’opter pour un arrangement, un détail, une tournure de phrase, un riff de guitare à la limite du bon goût pour mieux mettre en valeur un instant de grâce. En Mode Apocalypse, qui ouvre le disque, est à cet égard un bel exemple de successions de choix audacieux. Si on décortiquait par le menu détail cette chanson enlevée, on pourrait pointer des partis-pris déroutants, voire inopportuns (le riff de guitare métallique, le piano aigrelet, le grand-huit vocal, une phrase aux images stéréotypées…) mais le tout atteint un équilibre parfait qui sublime le tout. Et le reste de l’album est à l’avenant, ponctué de grandes chansons intenses (On En Parlait, Blessures Fantômes, Première Neige, Aurores, Tigres… c’est rare de compter autant de singles potentiels sur un seul album). Et même si d’autres titres sont moins flamboyants, voire même s’approchent dangereusement du précipice (Astronomie par exemple et quelques autres passages tutoient une certaine variété française qu’on n’apprécie pas toujours), ils sont indispensables dans la construction globale de l’album.
Soften se présente ainsi comme l’enfant d’une longue tradition, pour laquelle William Sheller et Gérard Manset font office de maîtres-étalon, et d’une lignée de maîtres anglo-saxons ès-pop, prompts à réveiller le grand frisson folk (La Couronne d’Or, bulle délicate en apesanteur ou encore Depuis l’Orage qui dérive vers un sommet psychédélique). Soften pourrait donc être le petit-fils de Leonard Cohen, le fils de Jean-Louis Murat et compter le québécois d’Elliot Maginot comme cousin.
Avec ce changement de forme, Nils Aellen s’affranchit des chapelles et des sanctuaires pour mieux tracer sa voie.