Jean-Louis Murat / Morituri
[PIAS Le Label]

Jean-Louis Murat - MorituriUn nouveau Murat ne se juge qu’en fonction d’un seul critère : les précédents albums de Murat. L’Auvergnat incarne effectivement un label à lui seul, un enclos loin du brouhaha et de l’agitation extérieure. Jean-Louis Murat, c’est le plaisir du même (entre le polisson et le galant), le confort des habitudes (un disque – parfois deux – tous les ans depuis 1999), un signe distinctif qui ensorcellera ad vitam aeternam (cette voix érotisée)… Plaisir du même, certes ; mais avec de constantes variations. L’année dernière, Babel s’avançait gargantuesque, en bande (The Delano Orchestra). Morituri, lui, dans un contre-pied probablement dicté par l’humeur du moment, voit revenir le Jean-Louis solitaire et intimiste (le musicien s’entoure néanmoins du confrère Stéphane Reynaud, de Gaël Rakotondrabe et Chris Thomas – qui accompagnaient Murat lors de la seconde partie de la tournée Babel).

L’intimité de Morituri n’a cependant aucun rapport avec celle de Toboggan. Dans ce précédent disque, Murat y chantait le bonheur conjugal, l’entourage des enfants et de la faune animalière. Les temps sont aujourd’hui plus durs, jusqu’à, dixit Jean-Louis, « chialer dans la cuisine ». Loin de Clermont-Ferrand et du bestiaire familial, Murat regarde le monde (de Monaco jusqu’au Bangladesh en passant par l’Espagne ou le Tarn-et-Garonne) et se pose la question : « Comment va l’amour ? » Mal, semble-t-il…

Le titre Morituri signifie donc, en Latin, « ceux qui vont mourir ». Et si le premier extrait (French Lynx, avec Morgane Imbeaud) possède un entrain certain, la suite de l’album se frotte à un jazz endeuillé, lugubre, façon recueillement (se rapprochant parfois du déjà très plombé Taormina). Tout en downtempo, Murat n’y aborde qu’un seul thème : la mort, parfois violente, toujours absurde car sans logique. L’auteur, étayant la pensée « l’homme tuera l’homme », ravive la mémoire des anonymes emportés par « la bête » : le boucher, le paysan, la bien-aimée (dont-on n’a aucune nouvelle), un simple corps « retrouvé nu bien amoché », les enfants… Et puis des prénoms, comme des pierres tombales : Emilie, Frankie, Marguerite… Dépité, Murat en déduit que « Satan est heureux, il a une nouvelle famille », avant de lâcher un lapidaire « Quel temps de malade ».

La grande force de Morituri, outre la poignante sobriété de son écrin musical, se trouve ainsi dans une implicite contemporanéité. Murat, dans un français n’appartenant qu’à lui, saisit une humeur générale, une incompréhension que nous partageons tous. Mais il ne fait que suggérer, parfois même semble-t-il laisser entendre des choses qu’il ne dit pas. Murat raconte des histoires anciennes (encrées dans un autre siècle ou bien issues d’un temps où existaient les crémières), loin de tout concept (pas trop le genre de la maison, du reste). Consciemment ou non, Morituri, en se confrontant au Cafard, provoque apaisement chez l’auditeur. Lugubre mais pas testamentaire (la pochette pourrait évoquer, à tord, le chant du cygne).

Tracklist
01. French lynx
02. Frankie
03. Tarn et Garonne
04. La pharmacienne d’Yvetot
05. Le chant du coucou
06. Interroge la jument
07. Tous mourus
08. La chanson du cavalier
09. Nuit sur l’Himalaya
10. Morituri
11. Le cafard
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