Quand les disques s’amoncellent, le plaisir est plus vaste. Et le temps raccourci. Alors écrivons petit sur du bon. Que le grand cric nous croque s’il n’est pas content !
Suede = Sinatra ?
Enième retour de Suede (après les très dignes Bloodsports puis Night Thoughts), et toujours la joie de constater que cette formation résiste au lifting. Au-delà des vocalises impressionnantes, toujours en extension, de l’ami Brett – proche aujourd’hui de Sinatra ou Presley –, la musique de Suede se fout dorénavant de plaire ou pas. Album ample, assez dark, majoritairement symphonique (mais space), The Blue Hour (Rhino Entertainment) canalise l’envolée lyrique redoutée pour un dosage méticuleux, alchimique, entre belles orchestrations, ambiances en lambeaux et chant apeuré. La connivence qu’entretient l’auditeur avec Suede, et le passage des années, nous obligent à ne pas crier au grand disque. N’empêche que : Brett Anderson appartient au présent. Définitivement.
L’odyssée de l’espèce selon Dalcan
Implanté lui aussi dans le présent, mais aussi dans le futur et le subjonctif, Dominique Dalcan, avec son projet Temperance (dont voici le volume 2), transforme l’électro en soul transgenre, en un voyage crooner au pays de l’humanité. Dalcan investie l’histoire de l’électro, mais il ramène celle-ci vers son versant le plus intime. En mode néanmoins kubrickien tant le cosmique enveloppe chaque chanson d’une envergure « longue vie à la nouvelle chair » (la Claire Denis de High Life devrait particulièrement apprécier). Sauf que « tout est pop » (comme dirait Chamfort) en écoutant les neuf horizons de cet album dont la plupart pourrait squatter les ondes radiophoniques. Logique : Dalcan, il faudrait ne plus avoir à l’écrire, est l’un des plus grands en France (toute période confondue).
La France crache sur les tombeaux
Dead in 1985 annoncent ces Français éponymes sur leur premier EP autoproduit (Hyperfréquentiel). Mort en 85, vraiment ? Car tout respire ici le fantasme d’une époque synth-pop révolue. Du moins en apparence : derrière le vintage, le groupe crache des mots génialement bilieux (L’inconnu, qui fait penser à Churros Batiment), du français haineux sans poésie (À quoi bon). Une formation qui joue talentueusement sur l’usage du masque. Et qui devrait entièrement se focaliser sur les paroles en français tant Dead in 1985 domine sa langue maternelle. À suivre d’urgence…
Hermétiques à la synth-pop, les parisiens de Do Lung affirment œuvrer dans le psychédélisme. Soit. Mais alors celui-ci, bien loin de l’allégeance béate que nous rencontrons chaque semaine au gré des envois, cocufierait le genre pour mieux dicter ses propres règles. Le titre Dawn Breaks (autoprod), en attendant un prochain EP, est plutôt coriace, bien écrit, assez attractif, et sans aucune référence surlignée. On attend la suite avec impatience, les gars ! Soyons traités de bachi-bouzouk en cas de mensonges !
Princesse Erica ?
Comme échappée d’une faille spatio-temporelle, l’Américaine Erica Buettner propose un folk aux contours pop, à la douceur vraiment contagieuse. The Book of Waves (self-released), son deuxième album, navigue entre la Suzanne Vega des beaux jours et les comptines de notre enfance. Rien à voir avec le néo-folk contemporain et à ses parfums neurasthéniques, tant cette compositrice donne l’impression de survoler la Voie lactée (encore une histoire de cosmos, donc)…
Un mot sur le dernier Murat, quand même (Il Francese – [PIAS] Le Label). Bonne nouvelle : Jean-Louis abandonne les délires fumistes de son épuisant Travaux sur la N89 pour à nouveau parler le langage humain (et non plus celui de R2-D2). Discrètement électronique – façon mini Dolorès –, l’album ne convainc qu’à moitié : un disque de plus, sans ratages ni sommets, qui se déguste avec plaisir mais se range ensuite dans la catégorie mineure de son auteur. Comme on dit d’un Woody Allen qu’il s’agit d’une grande ou d’une petite cuvée.
Le site de Dominique Dalcan
Dead in 1985 sur Facebook
Do Lung sur Facebook
Le site d’Erica Buettner
Le site de Jean-Louis Murat