The Veils / Total Depravity
[Nettwerk Records]

7 Note de l'auteur
7

The Veils - Total DepravityDifficile d’échapper au premier contact qu’on a avec ce cinquième disque de The Veils : sa pochette. Le tableau est l’oeuvre de Nicola Samori, un jeune artiste contemporain italien dont l’oeuvre horrifique se nourrit de visions post-gothiques héritées de la Renaissance et de la période baroque. La scène est atroce mais aussi fascinante et hypnotique. Samori participe actuellement à une exposition dont le titre est tout simplement : From Here to Eternity. En 1984, Nick Cave et les Bad Seeds faisaient leur entrée musicale en long format avec un album dont le titre empruntait au film/livre du même nom, modifiant légèrement l’énoncé en From Her To Eternity. La coïncidence n’est pas vraiment remarquable mais ultrasignifiante si on considère que Total Depravity renvoie tout au long de ses douze morceaux à cet univers sombre et habité, sauvage et dépravé qui animait alors la musique de Nick Cave. Les choses ont bien changé aujourd’hui.

La référence picturale pourrait constituer une critique à elle seule de l’album et s’imposerait probablement sur les mots si nous en avions seulement l’habitude. A défaut on blablatera un peu avant d’en venir à notre constat final : cet album est dévastateur, noir et magnifique. Total Depravity est le cinquième album de Finn Andrews, le leader de The Veils, et (pour les amateurs) fils de Barry Andrews de XTC. Le groupe a toujours travaillé à Londres, même si Andrews a été élevé principalement en Nouvelle Zélande, où il a notamment rencontré l’incandescente bassiste du groupe, Sophia Burn. Le style de The Veils a pas mal évolué, pour ne pas dire qu’il s’est cherché, au fil du temps. Aujourd’hui et avec cet album, il s’arrête sur un blues rock du delta envoûtant et diabolique, nourri par une production millimétrée assurée par El-P de Run The Jewels. On navigue ici tout du long en eaux profondes, entre les crocodiles et les monstres carnivores du bayou. Les textes d’Andrews sont sombres, horrifiques, recopiés depuis un Necronomicon sudiste où les drames succèdent aux drames et les scènes d’horreur aux scènes d’horreur. L’amour est une aliénation, suivie ou précédée d’instants sensuels, qui conduit presque toujours au crime ou au déshonneur. Le ton est magnifiquement donné par le single lynchien (le titre a été pré-empté pour aller illustrer la nouvelle série Twin Peaks) Axolotl. Le morceau est aussi vigoureux et bizarre que l’est la petite salamandre dont il porte le nom. La voix puissante et déglinguée de Andrews fait des merveilles évoquant le prêche sataniste des grands anciens, depuis RL Burnside, jusqu’à Nick Cave bien sûr, ou encore 16 Horsepower. Le reste est à l’avenant, alternant les séquences bas tempo (A bit On the Side, Low Lays The Devil) et les moments plus speedés (le beau Total Depravity ou encore le quasi soul Do Your Bones Glow At Night). D’une façon générale, le rythme est alangui et riche en balades crépusculaires. On a connu le groupe plus rock, plus violent, comme si la traversée des terrains macabres qu’explorent les chansons avait réduit leurs effets. L’électronique introduite par El-P est elle-même peu invasive, créant un mouvement subtil de dérive nocturne ou d’odyssée au Coeur des Ténèbres. Le chant d’Andrews est mis très en avant par la production et souligné par un effet de relief sonore qui donne la sensation que la voix vient de loin, d’Outre-tombe ou de territoires inexplorés. Cet effet, ajouté à l’extrême homogénéité sonore du disque, est à la fois une qualité mais aussi un défaut, si l’on considère qu’il atténue la variété et les qualités mélodiques des morceaux.

Le dispositif fonctionne formidablement bien sur des titres comme King of Chrome, magnifique d’équilibre entre les composantes chantées, jouées et électroniques du groupe, ou letrès beau Swimming With The Crocodiles, notre morceau préféré. Sur un canevas pop, The Veils réalise pleinement son projet en proposant un morceau qui a la pureté engageante des meilleurs The National et une force tubesque étonnante, tout en ne s’éloignant pas de son registre référentiel. Le miracle se reproduit sur In The Blood ou le cinématique Iodine & Iron. Les chansons sont de très haute volée, bien écrites, bien pensées et formidablement exécutées. La section rythmique est solide, d’une régularité impressionnante. La seule véritable faiblesse du projet s’avère finalement.. le projet lui-même. Après plusieurs écoutes, on en finit par se demander à quoi correspond ce son, à quoi renvoient ces références accumulées ? Quel est le propos global par delà la noirceur absolue ? L’homogénéité du propos, la réunion des images horrifiques , la voix trop présente d’Andrews créent un effet surréaliste qui peut lasser et contamine ce grand voyage macabre par un effet tunnel qui le rendrait presque monotone et ennuyeux. A la différence des grands anciens, The Veils manque de fougue dans l’emballement, de sauvagerie et de lâcher prise pour produire des effets de surprise et des variations de dynamique plus amples. Dire que Total Depravity confine parfois à l’exercice de style serait déplacé mais ses conditions globales de production (en 2016 et après tout ce qu’on a déjà entendu) tendent injustement à en atténuer la force.

Ces réserves ne gâchent pas le plaisir mais expliquent la distance qu’on peut mettre entre ce très bon album et les chefs d’œuvre du genre.

Playlist The Veils – Total Depravity

Tracklist
01. Axolotl
02. A Bit on The Side
03. Low Lays The Devil
04. King of Chrome
05. Swimming with the crocodiles
06. here come the dead
07. In the Blood
08. Iodine & Iron
09. House of Spirits
10. Do Your Bones Glow At Night
11. In the Nightfall
12. Total Depravity
Ecouter The Veils - Total Depravity

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