Tool / Fear Inoculum
[Volcano Entertainment / RCA Records]

7.7 Note de l'auteur
7.7

Tool - Fear InoculumTreize ans après le décompte macabre de 10 000 Days, le plus grand groupe de metal progressif du monde, Tool, revient avec son cinquième album, Fear Inoculum. Dire que cet album était attendu est un euphémisme. Le groupe de Maynard James Keegan est devenu au fil des années un groupe immense, réunissant à son chevet enflammé et tellurique les adeptes de la puissance metal et les amateurs d’émotions spatiales du rock psychédélique. Attendu longtemps, Fear Inoculum s’aborde ainsi autant comme un disque que comme une expérience totale. Le résultat est presque à la hauteur des espérances : aérien, monumental et en même temps d’un classicisme plutôt audacieux pour ce qu’il a à dire.

Le disque démarre en trompe l’œil par une magnifique intro tribale. La plage Fear Inoculum se situe dans la droite ligne de l’album précédent. La production est extrêmement limpide, lisible, très commerciale en un sens. Le morceau ressemble à une mise en place en même temps qu’à une présentation des musiciens. La batterie de Danny Carey qui porte littéralement l’album est placée très en avant puis rejointe par les guitares et par la voix d’un Kennan discret mais souverain. Le morceau d’ouverture est très long, comme la majeure partie des plages. La structure est explosée, découpée en 4 ou 5 segments qui dessinent une lente progression vers ce qui constituerait, autour de la 8ème minute, une sorte d’explosion ou de sommet incertains. Tool choisit de rentrer dans cet album avec retenue et discrétion, affirmant sa puissance de feu et sa maîtrise sans en abuser. Bizarrement, le motif se répétera aussi par la suite, comme si chaque plage devait être précédée d’une mise en place assez douloureuse, d’une suspension mélodique, d’un tâtonnement sublime qui permet à lui seul le décollage. Pneuma répond ainsi à ce schéma, s’offrant à partir de sa seconde minute une progression remarquable. Le texte s’articule autour d’une mystique humaniste sans grande surprise : « We are one breath. One word. One spark. » C’est cette étincelle d’humanité que le groupe traque dans la seconde partie de la chanson. Le travail d’Adam Jones à la guitare est assez formidable et précipite, sous les coups de butoir de Carey, Pneuma dans un final qui rappelle immanquablement les cimes de Forty Six & 2, l’une des chansons phare de l’album Aenima et l’une des préférées des fans. La puissance reste contenue et l’orientation globale très « spirituelle ».

L’album entier, au contraire du précédent plus sombre et marqué par la peur, joue l’élévation et la recherche d’une sorte de communion mentale qui tend à ralentir le tempo et à différer les déferlements d’électricité. La sensation est étrange, comme si l’on nous privait parfois de la violence et de l’intensité recherchée par souci de préservation ou pour nous inviter à espérer en quelque chose d’insondable ou d’indicible.  Invicible est ainsi une chanson frustrante et comme coupée en deux. La première partie est ennuyeuse et sans aucune surprise avant qu’un long break basse/batterie caractéristique ne débouche sur une dernière partie apothéose irrésistible, lancée par une voix synthétique venue de nulle part. Difficile de ne pas se laisser embarquer alors et de ne pas saluer l’énergie déployée par le groupe en même temps que d’admirer l’incroyable équilibre des parties.

C’est d’ailleurs au final ce qui impressionne le plus sur l’album : l’union qui fait la force, la sensation d’extrême harmonie qui se dégage des compositions et l’égalitarisme entre les instruments et les forces en présence. Cet équilibre donne un caractère monolithique et irrémédiable à la musique, une détermination et une musculature spectaculaires. Il tend toutefois à banaliser le son d’ensemble et à gommer le relief qui aurait pu émaner d’une production plus brute ou plus distinctive entre les pièces. Cela n’empêche pas le groupe de faire mouche avec Descending, probablement la chanson la plus intéressante et la plus réussie du disque. Carey est toujours à la manœuvre mais les guitares, et la basse de Justin Chancellor notamment, reprennent du poil de la bête, en s’offrant deux solos de plusieurs minutes qui rappellent les plus belles ascensions de Led Zeppelin. On enquille les quelques treize minutes et quelques de la plage comme dans un rêve ou une étape de montagne du Tour de France, en retenant son souffle et en se laissant embarquer dans la rêverie électrique. Descending ressemble à l’une de ses plages errances psychédéliques mélancoliques et byzantines d’un Blade Runner discographique. L’impression d’être à l’intérieur d’une bande son se prolonge sur le curieux Culling Voices, interlude d’abord ambient et low tempo qui s’élèvera, sans grande imagination mais avec une grâce suffisante pour faire son office, dans sa seconde moitié. Le morceau reflète les qualités et les défauts de l’album : une forme de tranquillité fourbe et de contrôle forcené de l’émotion et des moyens mais aussi une vraie maîtrise des effets qui frise le mécanisme. On frissonne, on frémit mais avec cette étrange sensation que le groupe n’a pas desserré le frein à main. A côté de cela, émane de Culling Voices une sophistication et une méticulosité qui ravissent et permettent au titre de gagner en profondeur au fil des écoutes, comme s’il ouvrait à foison des dimensions à explorer. La discrétion de Keenan troublera ceux qui en auraient fait volontiers leur dieu et leur gourou sur la foi de ses précédentes livraisons. Sa voix est utilisée partout comme un instrument, souple et agile dans ses variations, mais presque toujours aussi périphérique et agissant en appui de tout le reste. Keenan disparaît du reste sur l’instru Chocolate Chip Trip, un morceau curieux et fascinant qui compte parmi nos préférés ici. Le psychédélisme de Tool est quasi Floydien, lorgnant sur la poésie trippie de Barrett et le tribalisme hypnotique de la rave music. Le morceau n’a beau faire que cinq minutes il nous offre sur la fin une vraie démonstration de créativité avec notamment une sorte de bongo show de Carey qui ne peut qu’épater.

Tool se rassemble sur 7empest, l’ultime pièce de l’édition physique (l’édition numérique contient 3 plages de plus qu’on n’a pas écoutées), un titre signature de quinze minutes, dont il faudra un peu plus de temps pour détailler les arabesques et la richesse du mouvement. La puissance dégagée par ce morceau est redoutable. C’est l’un de ces morceaux-monde dont le groupe a le secret, insondable et dont on sent, au fil de l’écoute, les boucles se resserrer autour de nous. 7empest fonctionne comme une double hélice montante et descendante, un brin d’ADN magique qui code et décode le temps et l’espace. C’est une déclaration d’humanité, fragile et affirmative à la fois, la clé d’un metal intime, ouvert et radical, mais aussi affirmatif et qui ne fait pas de quartier. Le chiffre 7 synonyme de perfection et d’équilibre travaille au cœur du dispositif comme un symbole enfoui de perfection planquée et inaccessible.

7empest conclut un album quelque peu frustrant mais solide et qui, à n’en pas douter, se révèlera plus riche qu’il n’en a l’air au fil des écoutes. Fear Inoculum est curieux, audacieux dans la mesure où il joue aussi bien du metal traditionnel que de l’ambient, du psychérock, use du synthé et de percussions inédites. On peut y lire des traces de ragga, des invitations pop et une tentative à demi-réussie seulement de révéler l’alpha et l’oméga des musiques modernes. Ce n’est pas une révélation, ni une révolution mais une belle tentative de syncrétisme musical. En cela, Tool n’a pas raté son coup, tout en tapant (en partie)à côté ou plus précisément trop sur le clou pour faire autre chose que l’enfoncer. Comprenne qui voudra.

Tracklist
01. Fear Inoculum
02. Pneuma
03. Invincible
04. Descending
05. Culling Voices
06. Chocolate Chip Trip
07. 7empest
Ecouter Tool - Fear Inoculum

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