Pourquoi est-ce que cet album qui regorge de bonnes chansons et qui aurait pu être le meilleur album de Pavement s’avère au final le plus mauvais ? C’est évidemment la question qui vient avec cette réédition Deluxe de l’ultime LP des Américains. La réédition de Terror Twilight (affublé du sur-titre Farewell Horizontal pour l’occasion) achève le cycle des re-sorties orchestrées superbement par le label Matador. On s’est contentés de l’édition double CD qui reprend, comme c’est de coutume, en plus de l’album original nombre de versions alternatives ou live (21 plages sur le CD 1), des faces B (dont le sublime Découvert de Soleil, chanté en français par Malkmus et qu’on a toujours adoré) et surtout, en disque 2, une douzaine des démos de Stephen Malkmus ayant mené à l’écriture des chansons définitives.
C’est autant dans le disque original que dans celles-ci qu’on va aller chercher les clés du désamour. Car 23 ans après sa sortie (en 1999), notre jugement critique n’a pas varié d’un iota : Terror Twilight est un chouette album mais clairement le plus chiant et le plus décevant du groupe qui semble y avoir perdu son mojo, son énergie, sa maladresse et son feu sacré. Si l’on reprend depuis le début, difficile de ne pas s’arrêter sur la qualité des compositions proposées par l’alors unique pourvoyeur de chanson du groupe : son chanteur Stephen Malkmus. Spit On A Stranger qui ouvre le bal est une chanson splendide, inspirée, bien chantée, mélodique et élégante. C’est une balade amoureuse pleine d’esprit et gentillette :
I see the sunshine in your eyes,
I’ll try the things you’ll never try,
I’ll be the one that leaves
You high…high…high
Mais elle est évidemment trop lente pour une entrée en matière et pas assez bizarre et électrique pour ce qu’on attend du groupe. Comme elle est suivie par un Folk Jam, qui porte bien son nom, on se retrouve d’emblée embringués dans un album à contre-emploi où la furie post-grunge de 1992, l’un des meilleurs groupes de surf garage du monde, semble succéder à une musique sophistiquée de rock FM pour thé dansant. Le groupe est absent, les chansons à peine tordues et la production lisse comme des fesses de nouveau-né. Folk Jam a beau tenter de dévier de sa route à mi-chemin, la guitare folk le ramène immédiatement dans les rails jusqu’à faire passer les 3 minutes et trente secondes de la pièce pour un tunnel long de 50 kilomètres. La première (mauvaise) impression n’est pas battue en brèche par ce qui suit. You Are A Light est l’une des plus belles compositions de Malkmus mais son découpage en une partie lente et une partie rapide ne nous surprend pas et ne fonctionne pas si bien après cette ouverture en demi-teinte. Surtout, et même au plus haut du dérèglement, on sent que le groupe n’arrive pas à s’évader et à accomplir ce « devoir de n’importe quoi » qui le caractérisait. Godrich, raconte Nastanovitch, n’a jamais vraiment compris à quoi servait le groupe (qui jouait assez mal) et passa les quelques semaines en studio à ne parler qu’avec Malkmus, incapable de retenir le nom ou le prénom de tous les autres.
Du point de vue du songwriting, Terror Twilight n’est pas un mauvais disque. Il y a des mélodies, des gimmicks qui feraient pâlir d’envie la plupart des compositeurs de la planète mais il y a un truc qui cloche et qui n’incombe pas uniquement au groupe : ça ne va pas assez vite, il y a trop d’application, de retenue, pas assez de contradictions et de faux pas qui s’expriment. You Are A Light aurait du être une tuerie. La chanson sort immédiatement du lot. La démo est une esquisse mais on trouve sur le double CD de quoi regretter que la version studio soit si policée. Là encore, Pavement semble clairement ne plus s’amuser lorsqu’il s’agit de foutre en l’air la mise en place pop qui a été amenée par la séquence d’ouverture. Le morceau s’envole dans quelques spirales artificielles et plus techniques qu’inspirées, si bien qu’on se prend à regretter de n’avoir pas plutôt acheté un disque de Frank Zappa.
A la réécoute, il n’y a à peu près rien qui fonctionne comme il faudrait, comme si toutes les propositions faisaient flop. On a beau se raccrocher aux branches : Major League qui sent le Malkmus solo en plein nez et qui aurait pu faire un superbe single partout ailleurs, ou encore la complexité sombre d’un Platform Blues qui fait figure de grande chanson sacrifiée du disque. La placer à l’ouverture, comme l’aurait souhaité le producteur, aurait peut-être changé la face de cette terreur nocturne qui a aucun moment ne réussit à emballer le jeu. Jusque dans son final en eau de boudin, Platform Blues avait tout d’un titre exceptionnel, la rage, la spontanéité, les clins d’oeil au rock adulte et l’aisance d’un Pavement retrouvé. Elle se contentera de rivaliser plus loin avec un The Hexx, mature, hypnotique et qui, malheureusement, ne mène nulle part. Que veut exprimer le disque ? Que dit l’ordre des titres ? Quel mouvement nous proposent le groupe et le producteur ? Plus de vingt après on cherche encore. On se raccroche aux séquences qui fonctionnent, qui emballent mais le récit est manquant. Le corps de l’album est quand même de très belle tenue. Ann Don’t Cry est une pépite, émouvante et chantée à la perfection par un Malkmus qui est de plus en plus seul aux commandes et porte sur lui (sur sa voix, ses intonations) une forme de tristesse lasse. Billie est un mini-tube de cours de récré qui n’a pas le peps ni le charme de Cut Your Hair mais constitue à lui tout seul l’un des moments les plus jouissifs (et malheureusement mécaniques) du disque. Terror Twilight sent la maîtrise et les effets spéciaux. Ce n’est pas parce que le groupe a appris à jouer mais bien parce que Malkmus (le livret en cause comme les bios du groupe) a bouclé l’album en jouant de l’ensemble des instruments tout seul. Mais là encore, on s’ennuie sévère. Les morceaux sont trop longs et ne se brisent pas en deux ou trois comme par le passé. La comparaison avec les démos du disque 2 nous livre une explication : le groupe n’a rien ajouté. Des squelettes avancés de Malkmus l’enregistrement n’a à peu près rien tiré de plus. Le groupe n’a rien modifié, se contentant dans le meilleur des cas d’amplifier le son et de lui donner la texture indé recherchée. Le reste est muet et aurait pu être mis en sons par n’importe qui. Speak, See, Remember ronronne. Carrot Rope est d’un académisme total même si on peut se laisser prendre par son allant et l’évidence de sa ritournelle.
La déconfiture Terror Twilight n’a pas une explication unique. Les chansons que les démos présentent sont abouties et plutôt intéressantes. Certaines sont complexes, d’autres quasi à l’état définitif. Il est toujours amusant de voir d’où on/ça part et cette réédition nous en donne l’occasion. Pour le reste, on assiste à un gâchis affreux et à la dissolution d’un groupe en direct. Le livret revient sur l’histoire de la création du disque : l’enregistrement qui démarre par une session qui ne mène à rien et où le groupe n’arrive pas à jouer les compositions jugées trop complexes fournies par Malkmus. Le leader qui s’agace, leur laisse un peu de temps mais pas trop… Le disque est servi ensuite en temps deux mais avec beaucoup de frustration parce que le groupe n’y trouve pas son compte, parce que tout est trop cadré et difficile, parce que Malkmus n’arrive pas à les hisser à sa hauteur. Spiral Stairs n’a même plus la force de placer une ou deux compositions pourries. Il s’en tamponne. La production de Nigel Godrich amène finalement assez peu de choses et ne suffit pas à provoquer l’étincelle. Ce que montre Terror Twilight c’est qu’un groupe peut se dissoudre sans le vouloir, que les mécanismes qui produisaient le « génie » (ou du moins une forme d’état de grâce) peuvent s’éteindre d’eux-mêmes et laisser la place à ce genre de trucs : des chansons qui promettent mais ne tiennent pas, des morceaux de talent accrochés aux branches et qui ne font plus frissonner grand monde.
Il y a quelques morceaux amusants et qu’on aime bien et qui sont disséminés un peu partout ici (The Porpoise and The Hand Grenade notamment) mais la vérité est cruelle. En deluxe ou pas, Terror Twilight est un disque de morts vivants. Le cadavre est froid mais on l’a bien fagoté pour qu’il fasse bonne figure pendant la cérémonie. C’est à la fois beau et déjà triste, morbide et ça marche tout seul. Là où Pavement incarnait la flamme, le jeu, la désinvolture, il n’y a plus que de jolis tics, de la lassitude et de beaux rideaux pop qui barrent le soleil.
Ce n’est pas pour autant qu’on ratera la 2nde reformation du groupe, à Paris en octobre prochain. Les premiers concerts américains ont eu lieu et il semble que cela se passe un peu mieux que la première fois.
01. Spit on A Stranger
02. Folk Jam
03. You Are A Light
04. Cream of Gold
05. Major Leagues
06. Platform Blues
07. Ann Don’t Cry
08. Billie
09. Speak, See, Remember
10. The Hexx
11. Carrot Rope
12. Shagbag
13. Be The Hook
14. Spit on A Stranger (Echo Canyon)
15. Folk Jam (Echo Canyon)
16. You Are A Light (Echo Canyon)
17. Jesus in Harlem (Cream of Gold) (Echo Canyon)
18. Ground Beefheart (Platform Blues) (Echo Canyon)
19. The Porpoise and the Hand Grenade (Echo Canyon)
20. Rooftop Gambler (Jessamine)
21. Terror Twilight (Speak, See, Remember) (RPM)
CD 2
01. Folk Jam Moog (SM Demo)
02. Rooftop Gambler
03. Billy (SM Demo)
04. Spit On A Stranger (SM Demo)
05. You Are A Light (SM Demo)
06. Carrot Rope (SM Demo)
07. Découvert de Soleil
08. Cream of Gold intro (jessamine)
09. Cream of Gold (SM Demo)
10. Major League (Demo Version)
11. Terror Twilight (Speak, See, Remember SM Demo)
12. Folk Jam Guitar (SM demo)
13. The Porpoise and the Hand Grenade
14. You Are A Light (Jackpot)
15. Stub Your Toe
16. Your Time to Change
Merci, meilleure chronique que j’ai pu lire sur cette réedition
Merci. J’aurais préféré qu’elle dise plus de bien de Pavement, groupe que j’adore mais ce sera pour une autre fois !