« If i’d tell you what i see, you might not believe me. I saw white guys try to kill Mother Nature. She showed me love/ And i know she has a way with things. » Le deuxième morceau de ce nouvel album de Neil Young s’étend sur 13 minutes et 37 secondes. Une séquence assez incroyable qui démarre par une pointe d’humour (you might say i am an old white guy/ I am old white guy), prend le parti de la Nature contre les hommes du point de vue d’un vieil homme (Young lui-même) qu’on imagine rallié aux voix indigènes (indiennes ?). Le morceau est engagé mais surtout l’occasion de mener une charge héroïque toutes guitares dehors. Il célèbre à sa façon la réunion de Neil Young, 73 ans, avec ses vieux comparses du Crazy Horse, qu’il retrouve après sept années et presque autant d’albums pour un solo grondant. Le morceau est interminable mais prend dans sa démesure un tour shamanique et magique qui résume le souffle, l’énergie et le sentiment de vitalité qui se dégagent de cet album de septuagénaires. Ne pas laisser mourir la chanson devient un enjeu de résistance et de survie qu’on retrouve un peu partout, comme si Young et son groupe croyaient encore, cinquante ans plus tard, dans les pouvoirs de guérison du rock.
Qu’on traverse la plaine crépusculaire au galop (Think of Me), mort ou vivant, qu’on se remémore les temps anciens (Olden Days) ou qu’on cherche à s’abrutir de colère (Help Me Lose My Mind), il s’agit d’envisager la vie comme un passage, une étape, une sorte de glissade magnifique dont la finalité est de laisser, sur le sol, la piste, le cœur, une empreinte à peine visible. Les chansons de Neil Young ressemblent à un flot impétueux, tantôt calme comme le ruisseau mais capable de bouillonner et de déborder émotionnellement à la moindre occasion. Olden Days est chanté par Young d’une voix aigue fragile et émouvante. Le morceau ressemble à un titre des Flaming Lips, similitude que l’on retrouve dans le génial et spatial Milky Way. Olden Days est peut-être le plus beau et lumineux morceau du disque. Un homme collecte le souvenir de ses amis. Il est à la fin de sa vie et il fait les comptes. « Where did all the people go ? Some have disappeared somehow. They meant so much to me and now i know they are here to stay… in my heart. » L’écriture de Young est la simplicité incarnée mais la justesse d’intention et d’exécution est partout, jusqu’au trait de piano subtil qui conclut le morceau.
Colorado est tout sauf un disque de vieux barbant. Il y a du poids dans la batterie de Help Me Lose My Mind, une ardeur et une pesanteur qui ne trompent pas. Young est plein de grâce et de gravité quand il évoque, une nouvelle fois, l’avenir de la planète, les tempêtes, les incendies sur Green Is Blue, mais il rugit encore sur le tonitruant Shut It Down qui suit. Billy Talbot, à la basse, et Ralph Molina, à la batterie, forment la section rythmique la plus solide sur laquelle Young se soit jamais appuyé. Ce sont eux qui mènent la charge politique contre un système à bout de souffle. « Have to shut the all system now », chante un Young révolutionnaire, la rage aux lèvres avec une ferveur et une façon d’y croire à moitié qui rappellent les derniers engagements du dandy Leonard Cohen. Dans un mouvement assez classique, l’album s’offre trois derniers morceaux pour renouer avec l’espoir. Ce n’est pas forcément la partie la plus convaincante du disque mais il y a une allégresse et une sérénité qui se dégage d’Eternity qui peut apaiser et séduire. Peut-être est-ce que tout se terminera comme Young l’évoque : dans une voiture à regarder les étoiles et le ciel en compagnie de la femme qu’on aime, les cheveux dans le vent. Une « house of love » au petit matin, des oiseaux dans les arbres. L’éternité est une maison de campagne près de la côte. Rainbow of Colors sonne encore un peu plus old school et aurait pu être écrite il y a quarante ans. C’est une chanson puissante mais au texte trop démonstratif. On lui préfère de beaucoup la sublime conclusion, I Do, précise et appliquée. C’est un petit miracle d’équilibre et de poésie, interprété en mode dowtempo et de la pointe des cordes. Une chanson belle comme le jour qui se couche et les vies qui débutent.
Colorado est un album remarquable, intense et passionnant. Sa force repose en partie sur la simplicité presqu’innocente du message qu’il véhicule, sur la limpidité de son projet musical et, bien entendu, sur la précision de ses interprètes. Young est éternel, mais on le savait déjà.
02. She Showed Me Love
03. Olden Days
04. Help Me Lose My Mind
05. Green Is Blue
06. Shut It Down
07. Milky Way
08. Eternity
09. Rainbow of Colors
10. I Do