Ce n’est même pas une voie détournée de rappeler que la vie fabuleuse de Daniel Treacy, la biographie qu’on a consacrée à l’homme et à son groupe au long cours, est sans doute encore en vente quelque part. Il y a évidemment des disques des Television Personalities qui traînent un peu partout. Ils sont presque aussi beaux que ceux de The Smiths avec leur imagerie faite de collages et de pop culture. Mummy Your Not Watching Me est techniquement un album mal placé : coincé entre le premier et ce que les gens considèrent généralement comme le meilleur album du groupe (And Dont The Kids Just Love It) et celui qui referme le premier âge des Television Personalities, The Painted Word, leur joyau noir, sombre et dépressif comme ce qui suivra.
Sorti en 1982, peu après l’album compilation They Could Have Been Bigger Than The Beatles (tout un programme), Mummy Your Not Watching Me est évidemment l’album qu’il faut écouter en priorité pour prendre la mesure de la diversité et du génie de Daniel Treacy. Le son est âpre, plein de reverb et annonce les musiques sales qui viendront dix ans plus tard. C’est un son qui sert à abriter Treacy et déjà à déguiser les mélodies qu’il invente plus belles les unes que les autres à cette époque. Le disque est un manifeste DIY (Do It Yourself), un manifeste lo-fi, un disque pop, punk mais aussi un disque de rock psychédélique. C’est un disque truffé de références culturelles à la peinture (Lichstenstein Painting, David Hockney Diaries), à la musique (Daniel rencontre Brian Wilson sur le remarquable Brians Magic Car) et aussi un disque qui se termine sur deux des chansons les plus soignées et positives de l’époque : Magnificent Dreams, un single volontariste, plein d’espoir qui vous rebooste le chaland quelles que soient les circonstances, et surtout If I Could Write Poetry, chanson candidate au titre de chanson la plus belle de toutes les années 80.
Mummy Your Not Watching héberge aussi du drame social, typiquement anglais, façon kitchen sink, avec A Day In Heaven ainsi qu’une chanson sur les violences faites aux femmes, Scream Quietly…, horrible et en avance sur son temps, foudroyante de justesse et de réalisme. Mais la merveille des merveilles est la petite chose planquée en plage 4 qui s’appelle… Mummy Your Not Watching Me. Cette pièce minuscule, et presque anodine, est le meilleur résumé de Treacy qu’il soit possible de donner. Treacy y raconte comment la vie d’un homme (lui en l’occurrence) est toute entière tournée vers le fait de capter l’attention de sa mère qui s’en fout. C’est une chanson enfantine et d’une certaine façon la première tragédie à laquelle chacun est confrontée. C’est une chanson dérisoire et immense. Mummy Your Not Watching Me, l’album, est un chef d’œuvre dérisoire, donc essentiel.