La Bones Brigade, l’âge d’or du skateboard américain fin 80 début 90 a enfanté des athlètes géniaux toujours en activité et à double casquette. Tommy Guerrero, Ray Barbee, Matt Rodriguez, Chuck Treece sont en effet des skaters et musiciens… également professionnels. Multi instrumentiste, Chuck Treece a accompagné à la batterie le groupe Pearl Jam et prêté ses talents de bassiste sur un titre de Billy Joël. Pour l’éventail de la pratique instrumentale il en va de même en ce qui concerne les trois autres en soulignant plus particulièrement le talent de Tommy Guerrero (originaire de San Francisco), actif depuis deux décennies dans des productions singulières alternant les styles rock indé, jazz et hip hop. Pour ce disque, le quartet a invité le bassiste Josh Lippi, également originaire de Californie et adepte de ce sport de glisse.
BLKTOP Project est donc un opus d’une dizaine de morceaux essentiellement instrumentaux réalisé dans une démarche d’improvisation. On se retrouve face à une musique hyper rythmique, assez psyché, construite autour d’une basse très groove et répétitive laissant ainsi plus facilement le dialogue entre les autres instrumentistes. On avait évoqué récemment le dernier travail de Mélanie De Biasio, Blackened Cities qui est aussi une pièce improvisée mais d’une durée de 25 minutes et avec du chant. Ici, les morceaux sont plus courts mais tout de même au-delà du format standard des chansons pop-rock.
Le disque de ces accros du ollie-flip est assez remarquable : un patchwork de couleurs funk, soul, rock, surf, latin transportant l’auditeur dans un paysage urbain remontant à la scène musicale psyché de San Francisco des années 70 et celui des savanes nigérianes de l’afro beat de Fela Kuti et Tony Allen (d’où certainement le titre Concrete Jungle). Des guitares funk, jazz, syncopées dans le style du Jamaïcain Ernest Ranglin (en moins virtuose) ou de Dick Dale. Des percussions latines se combinant à la puissante section rythmique basse batterie. L’atmosphère est donc rétro et pluri ethnique.
Des images des fameuses rues de San Francisco nous viennent à l’esprit : Steve McQueen au volant de son bolide dans le film Bullitt (avec la B.O composée par Lalo Schifrin dans un style Jazz-orchestral également de cette époque) et surtout la Bones brigade de chez Powell Peralta avec le film The search of animal chin dans lequel les jeunes Tommy Guerrero et Tony Hawk (on est en 1987) dévalent à toute allure et acrobatiquement ces mêmes avenues.
Une musique puisant donc ses sources dans les courants soul-funk seventies. Un clin d’œil aux artistes du passé mais un disque résolument moderne de par le son de la production et l’esprit rock indé, psyché, parfois noise et urbain qui émane de ces sessions d’improvisation. Improviser n’est pas donné à tout le monde… pas facile de dialoguer, d’être à l’écoute, de renvoyer la balle avec son instrument. Ces athlètes de la glisse et musiciens sont incontestablement doués.