D’aucuns se diront que tenter de renouer avec Bonnie Prince Billy à partir d’un album de 16 reprises de Merle Haggard est un sacré pari. Il faut dire ce qu’il est : on rencontre moins de gens qu’avant qui aiment vraiment les disques de Will Oldham et encore moins de gens qui les écoutent. On n’imagine même pas le nombre de ceux qui les achètent. Ceux qui il y a quinze ans criaient au génie ont décroché depuis longtemps, totalement insensibles au parcours erratique, surproductif et désormais souterrain de ce baladin moderne, sorte de Dylan peu politique, dont la vie entière semble consacrée à filer le grand American Songbook de ses aïeuls pour faire résonner le souffle court de l’Amérique moderne. Son succès public a été évidemment une intoxication médiatique, tant sa musique et son degré d’exigence dans la durée paraissent incompatibles avec l’engouement bobo et la facilité post-hippie des clodomirs fumeurs d’herbe à la Devendra Banhart. Oldham est d’une autre farine.
Ce serait une foutue erreur de passer à côté de ce Best Troubador. Les chansons de Merle Haggard fournissent à Oldham une matière première d’une qualité redoutable qui lui permet de s’exprimer dans différents registres qui vont du folk campagnard traditionnel à des formes plus séduisantes et plus proches de la pop sentimentale. Les arrangements sont plus discrets et moins country que sur certains de ses albums récents et mettent en valeur la voix désormais solide et assurée du chanteur. Pour ceux qui n’auraient pas fréquenté les terres country de longue date, rappelons tout de même que Merle Haggard, décédé l’an dernier à 79 ans, est le pendant populaire (et moins branché) de Johnny Cash. C’est d’ailleurs celui-ci qui lui a donné envie de se mettre à la musique lorsqu’il l’accueille pour ses célèbres concerts à la prison de San Quentin. Merle Haggard est alors sous les verrous, pour vol et cambriolage, et décide de changer de vie. A 23 ans, il sort de prison (après de longues années) et entame une carrière de chanteur country. Il enchaînera les succès pendant plusieurs décennies avant de ralentir le rythme et de couler des jours tranquilles et (mal)heureux.
Best Troubador ne se focalise pas sur les chansons les plus connues de Haggard. Oldham préfère la veine la plus sentimentale et sensible du bonhomme à ses chansons ouvrières ou plus nettement politiques. C’est une orientation qu’on peut critiquer mais qui nous vaut de passer un moment agréable et globalement délicieux en la compagnie des deux hommes. Connu pour son âpreté à ses débuts, le chant de Oldham s’est radicalement transformé depuis dix ans et lui permet d’évoluer avec aisance et efficacité dans un canon de chansons où le modèle revendiqué est plus l’Elvis Presley crooner de l’après rock que Bob Dylan. Le résultat est plus lisse souvent mais pas moins intéressant.
L’album est élégant et enlevé à l’image de l’ouverture assez sublime, The Fugitive. Distinguer un titre plutôt qu’un autre n’aurait pas beaucoup de sens ici, tant c’est l’ensemble qui donne une texture séduisante et délicate au disque, mais on ne résiste pas à quelques morceaux imparables comme I Always Get Lucky With You (une merveille), le duo Some of Us Fly (un miracle d’équilibre à deux voix), le déchirant Nobody’s Darling ou encore l’impeccable et définitif I Am What I Am. Le texte de ce titre renvoie à celui de The Fugitive et est l’une des chansons les plus connues de Haggard. Oldham en fait une chanson incroyablement forte et puissante, l’équivalent contemporain d’un My Way existentialiste, modeste et assez crâneur. Ce titre est à lui tout seul une bonne raison d’acheter ce disque. D’ailleurs, plutôt que de raconter des bêtises, on va terminer en récitant les paroles de ce morceau, comme on ferait une prière en hommage à Haggard et Oldham qui sont à leur manière des sortes de prêcheurs du réel, de la poussière et de la misère humaine comme on n’en fait pas beaucoup. Ce disque est un assez grand disque et en tout cas, une collection de morceaux qu’il ne faut pas prendre à la légère. Ce serait tout aussi bête de parler de « retour en forme » pour Bonnie Prince Billy parce qu’il n’est jamais vraiment arrivé, ni parti, ni revenu ; juste un signal et un symptôme de plus qui indique qu’il faut TOUJOURS le prendre au sérieux.
I’m no longer a fugitive
And I’m not on the land
And I’m just around
I am what I am
I do what I do
‘Cause I do give a damn
And I’m not a tramp and I’m not a drifter
I am what I am
I won’t be a slave
And I won’t be a prisoner
I’m just a nephew
To today’s Uncle Sam
I believe Jesus is God
And the pig is just ham
And I’m just a seeker, I’m just a sinner
And I’ll be what I am
I won’t be a slave
And I won’t be a prisoner
And I’m just a nephew
To today’s Uncle Sam
I believe Jesus is God
And a pig is just ham
And I’m just a seeker, I’m just a sinner
I am what I am
Amen.
02. I’m Always on A Mountain When I Fall
03. The Day The Rains Came
04. Haggard
05. I Always Get Lucky With You
06. Leonard
07. My Old Pal
08. Roses in the Winter
09. Some of Us Fly
10. Wouldn’t That Be Something
11. Pray
12. That’s The Way Love Goes
13. Nobody’s Darling
14. What I Hate
15. I am What I am
16. If I Could Only Fly