Les amateurs un peu sérieux savent bien que le grand maître de la pop mélancolique et cristalline n’est aucunement Sean O’Hagan des High Llamas, ni même Sufjan Stevens. Ce titre est détenu depuis le début des années 90 par Duglas T. Stewart et ses BMX Bandits, le groupe écossais le plus précieux et mésestimé de l’histoire du rock indépendant. La discographie du groupe (soit une douzaine d’albums studio à ce jour depuis 1989) ne ressemble à rien de comparable. Le groupe a évolué à travers les âges, pas mal expérimenté au fil des entrées/sorties du line-up mais toujours assuré un standard pop passionnant et progressiste, réussissant à faire le lien entre les univers pop DIY, bricolo pop, la pop orchestrale, la pop psychédélique et ainsi à fédérer musicalement et en termes de référence un univers aussi vaste que trois ou quatre galaxies. Tout n’est pas de même niveau dans la discographie du groupe (certains diront qu’ils se sont répétés, qu’ils ont fait du surplace, voire raté des choses) mais le dernier né, Dreamers on The Run, mérite des louanges et la plus grande attention : c’est une réussite totale et exemplaire, un disque magique, enchanteur et dont on ferait bien l’heureux élu s’il fallait conserver (pour une capsule spatiale, un séjour sur une île déserte ou l’au-delà) un échantillon sous forme d’un seul LP de ce que la pop (humaine) a de meilleur au monde.
Ok, on s’emballe sans doute un peu, sur le bonhomme et sur le disque, mais c’est dire à quel point on évolue très haut ici. Dreamers on The Run réussit à s’imposer à la fois comme un album de pop classique ou traditionnelle (les arrangements, la voix, la prévalence mélodique, la dynamique) et comme un album moderne. On ne le qualifiera pas d’avant-gardiste bien sûr (pas d’autotune ou d’autres conneries opportunistes) mais à aucun moment on a la sensation sur ce disque que les BMX Bandits enclenchent le pilotage automatique ou ont été obligés contractuellement de produire des morceaux pour vivre. Ce n’est pas un petit détail : le disque bouillonne d’envie, pétille d’astuces et de trouvailles de production, regorge de richesses plus ou moins cachées, signe d’une passion de tous les instants à l’œuvre et d’un enthousiasme qui n’est pas si fréquent chez un type de 60 ans (cette année) et qui a déjà près de quarante ans de carrière derrière lui. On ne doit jamais oublier que Stewart a produit plusieurs shows pour ou autour de Brian Wilson, autour de Gainsbourg aussi, qu’il a bossé avec Alex Chilton ou encore son copain d’école Norman Blake (Teenage Fan Club) et quelques autres. Le pedigree ne vous garantit pas à vie d’écrire des chefs d’oeuvre mais peut y contribuer.
On ne va même pas essayer de vous dire tout le bien qu’on pense du titre d’ouverture (6 minutes remarquables) et de pièces réellement sublimes comme Time To Get Away ou le génialement dérisoire, humoristique et brillant My Name Is Duglas, mais simplement souligner que nommer une chanson Home Before Dark – In The Industrial Zone suffit à cerner quelque peu l’esprit supérieur, l’audace et le talent à l’œuvre ici. Stewart conjugue à merveille sur chacun des onze morceaux de ce disque (on peut même le dire du Digital Dreamers qui referme l’album de manière assez atypique en 56 secondes) une approche de proximité, intimiste et personnelle, réaliste de la pop ET une portée immédiatement universelle des textes et des mélodies. C’est dans cette conjugaison d’une intention domestique et proxime et d’une portée éternelle que la pop prend du galon, de l’ampleur et qu’elle peut espérer toucher au sublime. Cela demande des moyens dans l’écriture, dans l’équilibre des choses et des segments, une sorte de pureté d’intention, de sincérité extrême que les BMX Bandits manient avec une science formidable. L’émotion monte et elle descend. On pense à la tendresse triste des Television Personalities, à la beauté et au lustre de Lawrence et de Felt, mais aussi à l’élégance de l’école américaine de Burt Bacharach ou de Randy Newman, dont la tessiture vocale de Stewart se rapproche désormais. Les BMX Bandits savent tout faire et même aller défier la Motown sur le champ soul avec un single joyeux et léger tel que The World Was Round, chanson composée par Andrew Pattie, compagnon de route majeur sur ce disque, qui évoque la dépression et la crise mais sous l’angle de leur rachat par l’amour.
On en restera là pour cette fois. Certains disques sont si bons qu’il n’est pas nécessaire d’en parler trop longuement. Écouter quelques chansons suffira à se faire une idée et à vous motiver (comme on dit) à « engager un acte d’achat ».
02. Setting Sun
03. Time To Get Away
04. What He Set Out To Be
05. Cockerel’s Waiting
06. My Name is Duglas (Dont Listen To What They Say)
07. Home Before dark – In The Industrial Zone
08. Hop Skip Jump (For Your Love)
09. The World Was Round
10. The Things We Threw Away
11. Digital Creamers
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