Waouh ! Voici le disque parfait pour démarrer l’année : Brix Smith est de retour entourée d’anciens membres de The Fall pour renouer brillamment avec une histoire interrompue il y a plus de 20 ans maintenant, par son second départ avec fracas du groupe de son ancien mari Mark E. Smith. Pour les amateurs de The Fall, la période Brix Smith correspond avant tout à son premier passage entre 1983 et 1986, marqué par une série d’albums excellents (elle arrive discrètement sur Perverted by Langage avant d’occuper tout l’espace sur The Wonderful an Frightening World of The Fall et l’impeccable This Nation’s Saving Grace) et une influence décisive sur le son du groupe. Brix Smith est, pour les spécialistes, la personne qui aura amené The Fall aux portes du succès. Elle injecte son sens de la pop dans le fatras post-punk de Mark E. Smith et le rend tout guilleret avant de le faire (re)devenir dingue. Pour certains, elle aurait corrompu le maestro et affadit la radicalité du groupe. Entre 1994 et 1996, son second passage est plus anecdotique. Sa biographie elle-même ne dit pas bien ce qu’elle y venait chercher : regain de notoriété ou envie de se faire mal. Elle passe comme une ombre sur Cerebral Caustic et The Light User Syndrome, deux albums mal aimés (à juste titre) des Mancuniens, avant de partir à la chasse au Mark E. Smith pendant un concert où elle manque de l’assommer avec sa guitare.
Il y a quelques années Brix a accompagné Steve Hanley, le guitariste emblématique du groupe (20 ans de présence aux côtés de Smith), pour un concert donné à l’occasion de la sortie de son récit (tout à fait recommandable) de ses années The Fall. Hanley et Brix se sont revus, au point de donner d’autres concerts et de mitonner cet album : Brix & The Extricated, Part 2. Paul Hanley, le frère de Steve, ancien batteur du groupe, Steve Trafford (2004-2006, période Fall Heads Roll) et Jason Brown (inconnu au bataillon) ont rejoint l’aventure. Part 2 est un objet étrange, composé de matériel original mais aussi et surtout d’un certain nombre de reprises (toutes excellentes) de titres de The Fall, venus des différentes périodes qu’ont traversées les membres du groupe. L’ensemble est une réussite presque totale : Brix et ses compères dégagent une énergie remarquable, une fraîcheur pop qui fait frissonner d’envie et fait oublier l’âge (pas si avancé tout de même) des protagonistes. La guitare de Hanley et la batterie de son frère offrent un socle pop rock étonnamment efficace aux compositions d’une Brix dont le chant rappelle assez souvent l’excellence pop de Blondie.
L’album démarre avec un Pneumatic Violet un rien rentre-dedans et qui ne rend pas justice à la subtilité de l’ensemble. Le morceau sonne comme du bon Breeders, engagé et ultradynamique. Le sens pop de l’Américaine n’a rien perdu de sa superbe et illumine littéralement les compositions du disque. Cela fonctionne avec le légendaire Feeling Numb ou avec la magnifique relecture du déjà fameux Hotel Bloedel de The Fall, mais cela fonctionne encore mieux lorsque Brix & The Extricated travaille son propre matériel. Part 2 est emmené par des morceaux réellement épatants. On retiendra le hargneux Something To Lose, le punkisant Damned For Eternity, l’un de nos préférés ici, ou encore le plus contemporain Teflon, façon spoken word, très réussi.
Moonrise Kingdom, composée par Trafford pour Fall Heads Roll, l’un des meilleurs The Fall de l’ère moderne, est une chanson merveilleuse, délicate et appliquée, sensuelle et magique, qui époustoufle par sa précision. Plus loin, on goûte la reprise monstrueuse de L.A, l’un des meilleurs morceaux du The Fall de l’époque. Brix et Hanley en proposent une déconstruction magistrale qui se prolonge (par son unité thématique) sur un Hollywood épique, étendu sur plus de cinq minutes. Brix Smith y retrouve sa position de jeunesse : groupie de luxe et petite fille riche tombée depuis les boutiques de mode de LA dans les bras du plus prolétaire des chanteurs d’Angleterre. C’est ce frisson originel que l’on retrouve ici sur ce morceau incroyable, celui d’une jeune femme qui s’émancipe en se liant pieds et poings au plus monstrueux frontman que le rock ait enfanté, avant d’en prendre, très temporairement et en apparence, le contrôle. Qui a utilisé qui ? Qui a profité de qui ? La biographie de Brix Smith ne dit finalement pas grand-chose des rapports intimes qu’elle entretenait avec Mark E. Smith, ce que les deux se sont apportés réciproquement à cette époque-là. Ceux qui vénèrent le chanteur ont coutume de dire qu’il l’aimait pour son physique et son américanité. Ils accusent Brix Smith d’avoir abusé de lui. D’aucuns penseront plutôt que leur échange était plus égalitaire qu’on l’a pensé. Peu importe à vrai dire. Brix Smith a fait un peu de télé après avoir quitté le monde de la musique et saboté son groupe The Adult Net (aux albums écoutables). Mark E. Smith a évidemment poursuivi sa route avec des bas et quelques hauts. A défaut d’enfants (on plaisante), il reste des chansons revisitées ici avec brio. Les frères Hanley, s’ils sont souvent restés en retrait, ne doivent pas être oubliés : Paul a toujours été un batteur remarquable et Steve a eu son importance (immense, pérenne) dans les meilleures compositions du groupe.
Part 2 est un album chaudement recommandé, pour ceux qui aiment les chansons de The Fall, mais aussi pour ceux qui savent le rock éternel. C’est un album qui agit comme une cure de jouvence bienvenue après des réveillons chargés et de longs jours d’hiver et de pluie. Brix Smith a toujours eu ce pouvoir au final : donner au son froid et néo-réaliste de Manchester des allures de Sunset Boulevard et un brin de glamour. L’alliance parfaite de la princesse et du sans-dent.
02. Feeling Numb
03. Something To Lose
04. Hotel Bloedel
05. Damned For Eternity
06. Moonrise Kingdom
07. Teflon
08. Valentino
09. LA
10. Time Tunnel
11. Hollywood