Fire Records poursuit sa passionnante exploration de la discographie connue et moins connue des Television Personalities. Les précédents volumes s’intéressaient aux singles (2 compilations) et à une sélection d’enregistrements live. Cette fois-ci, le label toujours épaulé par d’anciens membres du groupe, s’attaque aux sessions enregistrées par Daniel Treacy et les siens pour des radios. La compilation Tune In, Turn On, Drop Out est sur le papier hétéroclite, puisqu’on passe de 1980 à 1993, et organisée autour de trois périodes (1980-1986 et 1992-93), mais s’avère au final un vrai trésor de poésie pop.
La première étape du voyage est la plus connue et passe par l’animateur de la BBC John Peel. Treacy envoie à ce dernier les démos de ses premiers titres et séduit immédiatement ce futur faiseur de rois indie. Peel propose, selon la légende en retour, à Treacy de l’aider à financer ses premiers enregistrements (ce que le groupe refusera au profit d’un financement familial de quelques dizaines de livres) et se met à passer les premiers morceaux du groupe à outrance. C’est tout naturellement qu’il les invite à l’été 1980 à enregistrer une première Peel Session qui, à la surprise de tout le monde, sera la dernière. Emballé par les premiers singles du groupe, Peel se détourne assez vite du groupe dont il ne suivra pas l’évolution et qu’il n’évoquera quasiment plus jamais par la suite. Ce qui l’avait séduit à l’origine (la fraîcheur, la naïveté, l’humour) est bientôt affecté par une tristesse et une noirceur dans les productions qui fera dire à Peel qu’il aurait aimé que le groupe reste à jamais celui des débuts. La Peel Session de 1980 présente le groupe dans un écrin (plus “produit” que ses enregistrements studio étrangement) doux, calme et délicieusement pop. Les quatre morceaux sont magnifiques, soutenus par une interprétation précise et pas du tout chaotique, lavés de leurs influences punk. Parmi les 4, on est particulièrement impressionnés par le splendide Silly Girl qui ferme la marche avec, notamment, son introduction et sa ligne de basse extraordinaires. Treacy chante tout en finesse et en dégageant une fragilité qui fera sa marque de fabrique et constituera par la suite sa faiblesse dans la route du groupe vers le succès. Les compositions sont phénoménales (c’est tout aussi frappant sur la session 1986 avec Ian Kershaw qui suit) mais il y a chez les Television Personalities une vulnérabilité et un manque d’arrogance qui les rend incapable de rallier les masses.
La session de 1986 montre un groupe qui est techniquement au sommet de son art pop. Les guitares jangly ont de faux airs smithiens (le groupe de Morrissey n’existe plus à cette époque) et Treacy propose, malgré ses limites vocales, une variété dans les modulations qui est épatante et fait de Paradise Is For The Blessed, l’un des grands moments de cette compilation. Derrière la relative allégresse musicale, règnent la désolation, la perspective d’une grande solitude à venir et beaucoup de tristesse.
You’ve heard it all before
It matters to me
You’ve heard it all before
That’s the story of my life
Such a sad and lonely life
There was something else
That I could have seen
How could I see?
I thought I’d seen it all
And there was so much more
I could have had
That I still could have
If you give me time
Le groupe marrant et ironique, plein d’esprit des débuts laisse la place à un groupe flamboyant mais en questionnement permanent, un groupe dont le leader fait face à des démons plus gros que lui. Ce qui frappe, malgré la noirceur qui pointe, c’est la clarté des compositions, leur sophistication et leur force. Les Television Personalities sont un groupe qui parle du présent au passé, qui s’interroge sur son implication dans le monde et verse encore souvent dans un univers post-psychédélique plein de fantaisie et de références pop, à l’image de l’épique et indépassable Salvador Dali’s Garden Party, chanson-monde qui raconte une vraie fiesta mais dans laquelle Treacy injecte au gré de ses envies toutes les célébrités petites et grandes du moment, en une sorte de grand musée ridicule ou noble personnel. La Andy Kershaw Session s’achève sur I Still Believe In Magic, une chanson qui ferait mourir de jalousie Lawrence de Felt et qui s’impose comme un petit miracle de pop en chambre, délicat, enfantine et sublime.
Les medleys qui rythmaient pendant 30 ou 40 minutes les concerts échevelés du groupe donnent lieu à de nombreuses reprises qu’on retrouve ici avec curiosité et un bonheur divers. La session de 1993 et dernière de la compilation présente le No One’s Little Girl des Raincoats dont on a déjà parlé mais aussi le Honey I Sure Miss You de Daniel Johnston (enregistré pour une compilation hommage aussi). Treacy n’a aucun mal à incarner le personnage. Ses propres titres naviguent alors dans les mêmes eaux dérangées : Everything She Touches Turns To Gold est un portrait terrifiant de l’enfance du chanteur et tente de revenir sur les causes de sa détresse. Le texte est sensiblement différent de la version studio enregistrée pour l’album I Was A Mod Before I Was A Mod. Il est plus noir, plus décousu, sans doute en partie improvisé. On ignore si la version définitive n’est pas encore écrite ou si elle est déjà remplacée. Les presque 8 minutes restent impressionnantes et à des années lumière du premier âge des Television Personalities. Il faut être un peu plus costaud et amateur de musique expérimentale ou des prestations du Velvet pour apprécier ces chansons qui se créent et s’auto-détruisent devant nos oreilles, comme si elles étaient directement recomposées par l’état psychologique de leur chanteur. Le groupe accompagne, suit plus qu’il n’interprète, composant une sorte d’écrin d’ambiance qui permet à Treacy de suivre le fil incertain de sa pensée et de ses émotions. On trouve d’autres reprises et chansons énigme (les Buzzcocks, Crystal Waters, le February de Jowe Head,…) qui sont autant de récréations, mais qui ne pèsent pas lourd face à la magie et à l’immédiate séduction des titres composés par le maestro. En se terminant sur The Silly Things Lovers Do, la compilation rend justice au génie pop d’un Treacy, qui, même en roue libre et sans enjeu, brille de mille feux et peut, en quelques dizaines de secondes, renouer par magie avec sa grâce de jeunesse.
When we’re on our own
Do you telephone your mother to let her know
Just where you are?
And I always get the blame and it’s such a shame
That I still carry the scars
All the things we used to do
All the things we used to do
Why do we do all these things
All the silly things lovers do
Nothing I could give
That I haven’t given you so much
So many times
And I never write to you
When I’m away I should find the time
Forgive me
Don’t hurt me
Don’t hate me
I should know better than this
And why do we do all these things
All the silly things lovers do
The silly things lovers do
The silly things lovers do
Tout est là. Éternel et périssable. Droit et moral comme une chanson des Beatles, une comptine pour gosses ou un tube de variété. Treacy en cloche et en majesté. Cette compilation a l’inégale beauté des êtres frêles et ultrasensibles qui illuminent et consument nos vies.
02. Picture of Dorian Gray (John Peel Session)
03. La Grande Illusion (John Peel Session)
04. Silly Girl (John Peel Session)
05. Paradise Is For The Blessed (Andy Kershaw BBC Session 27.02.86)
06. My Conscience Tells Me No (Andy Kershaw)
07. Salvador Dali’s Garden Party (Andy Kershaw)
08. I Still Believe In Magic (Andy Kershaw)
09. Goodnight Mister Spaceman (WBMR Session 02.04.92)
10. How Does It Feel To Be Loved (WBMR Session)
11. I Get Frightened Too (WBMR Session)
12. Time Goes Slowly When You’ Re Drowning (WBMR Session)
13. Gypsy Woman (WBMR Session)
14. She’s A Virgin And A Whore (WBMR Session)
15. Why Cant I Touch It (WBMR Session)
16. All My Dreams Are Dead (WBMR Session)
17. Wandering Minds (WBMR Session)
18. Three Wishes (WBMR Session)
19. Everything She Touches Turns To Gold (The WFMU Session 27.07.93)
20. No One’s Little Girl (The WFMU Session)
21. My Very First Nervous Breakdown (The WFMU Session)
22. Honey I Sure I Miss You (The WFMU Session)
23. February (The WFMU Session)
24. The Silly Things Lovers Do (The WFMU Session)
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