Cemeteries / Barrow
[Track & Fields]

Cemeteries BarrowDans la catégorie autiste de génie ou artiste maudit et lunaire, Kyle J. Reigle est un bon client.

Le genre de type qui ne vous répond pas lorsque vous tenter de lui expliquer plusieurs fois dans un anglais certes rudimentaire mais avec sincérité, que The Wilderness, le premier album de Cemeteries paru 2012, est pour vous une œuvre importante (au-delà d’avoir clamé à qui voulait bien l’entendre que c’était le meilleur disque de cette année-là). Alors pour ce qui est du comment du pourquoi, son deuxième album ne parait pas sur la boutique prometteuse Lefse Records qui l’avait jusqu’alors accompagné, mais en tirage ultra limité sur Track & Fields, il ne faut pas rêver : on n’en saura guère plus sur le loustic et il faut de la persévérance pour avoir la possibilité d’écouté Barrow, qui devrait un jour avoir une existence en LP (vous pouvez le commander sur le site du label mais aucune date de livraison n’est annoncée). Bref, un vrai suicide médiatique (et ce, sans coup d’éclat ni panache).

Du point de vue factuel, les éléments sont minces, et même le visuel ne renseigne guère : le cliché étant daté des années 80 sans être localisé, ni même crédité. Quant à la composition de ce nouvel album, on sait que Kyle J. Reigle a tout écrit et enregistré tout seul et on suppose également qu’il a interprété par lui-même les neufs compositions.

C’est dire à quel point Barrow, comme son prédécesseur, est une œuvre hautement intime qui doit s’écouter dans la solitude des soirées où l’esprit s’échappe et se détache du quotidien. Comme le précise le premier morceau sur lequel on entend le ressac de l’océan, on rentre ici en Procession. Et qui n’aurait pas cette attention à l’égard de ces fragiles chansons risque de n’entendre qu’un chant évanescent essoufflé et des mélodies mises en sourdine (on imagine volontiers que l’Américain a joué ses partitions, de nuit, dans son appartement, en les calfeutrant pour ne pas gêner le voisinage). Pourtant, les entrelacs de guitares sont lumineux et le chant est mu par une ferveur contenue. Si la rythmique est très discrète (quelques notes de basses égrenées, une batterie aérienne), elle donne une certaine dramaturgie au propos en jouant sur une dynamique fascinante qui évoque un danseur décomposant ses mouvements au ralenti. Parfois, la tension monte comme sur Our False Fire On Shore, avant que les vagues n’emmènent au loin cette amertume coléreuse ou encore le temps de Cicada Howl, champ de bataille dévasté des déboires amoureux sur lequel flotte encore le souvenir d’un amour inaccessible. Ailleurs, Cemeteries affiche un sourire énigmatique le temps de Sodus qui laisse entrevoir des influences cold-wave (celles-là même qui éclairaient les plus belles heures de Piano Magic) et bascule au détour d’un pont ascensionnel qui nous hante longtemps après l’avoir écouté.

Musique fleur bleue, peut-être, mais alors matinée par l’effet du temps et de l’âge, lorsque le souvenir magnifie les tristesses les plus profondes. Alors, quand bien même Kyle J. Reigle se planque derrière une identité mystérieuse et ne semble pas vouloir donner le change au cirque médiatique, on se sent indéniablement de grandes affinités, des sensibilités communes, avec ce bonhomme.

Tracklist
01. Procession
02. Nightjar
03. Luna (Moon of Claiming)
04. Can You Hear Them Sing ?
05. Cicada Howl
06. I Will Run From You
07. Empty Camps
08. Sodus
09. Our False Fire On Shore
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