En empruntant le nom de son projet musical à un best-seller des jeux vidéos paru en 1988, Doran Edwards s’était pointé en bon geek 1.0 avec son premier album sous le bras, Choreography (paru chez Tough Love Records) en 2012. Weird Dreams ressemblait encore alors à un groupe, le bel âtre se partageant les rôles avec James Wignall à la guitare et au chant – avec une doublette rythmique en appui. Depuis, Doran Edwards a migré à Paris et continue en solo ce projet.
Le son et le propos de Luxury Alone montrent bien évidemment une sensible évolution : les synthétiseurs prennent souvent le dessus sur les guitares et les sonorités synthétiques priment sur l’organique. Pour autant Weird Dreams ne livre pas un album déshumanisé, tout au contraire. En restant seul maître à bord, en se chargeant du fonds comme de la forme (composition, interprétation, visuel), Doran Edwards livre pour la première fois une œuvre personnelle et sincère. Dans cet isolement, l’inspiration fluctue forcément au gré de ses états d’âmes et il semblerait que l’exil l’ait rendu nostalgique : plutôt que de monter dans l’Eurostar, il a composé des chansons. La SNCF y a perdu un bon client et nous avons gagné un honnête album de pop artisanale mélancolique.
Traversé par un profond spleen dans lequel le compositeur puise son inspiration, Luxury Alone présente beaucoup de ressemblances aux disques de l’américain Cemeteries, que ce soit sur The Ladder égrené sur un piano atone et solennel, ou Mirror, sur lequel le chanteur s’enfonce dans la brume, effrayé par une rythmique véloce (presque jazz). Après ce morceau de bravoure poisseux, Weird Dreams arrête de se débattre, se laisse happer, s’enfonce dans les eaux profondes d’une dépression fascinante. Dans un ultime sursaut mu par l’instinct de survie, Weird Dreams tente bien de remonter à la surface, de briser la chimère de ses propres songes le temps de Digital Water. En vain : la fascination du néant est plus forte. C’est là, dans cet abandon de soit que la beauté apaise sa douleur (l’élégiaque Calm).
Comme Barrow (le deuxième album de Cemeteries donc), on pourrait donc aisément passer à côté de ce disque aux ambitions égoïstes – Luxury Alone est typiquement le genre d’albums dont l’auteur se contrefiche qu’il trouve un public. Ce ne serait pas un drame – mais injuste et dommage.