Ce disque rend deux fois heureux. La première fois parce qu’il signe le retour aux affaires du label Rev-Ola, consacré aux vieilleries (anglaises et exotiques) et aux chefs d’œuvre disparus du passé. Tenu par l’ancien adjoint d’Alan Mc Gee au début de Creation Records et accessoirement producteur du premier disque de Jesus and Mary Chain, Joe Foster, Rev-Ola (et c’est la seconde bonne nouvelle) choisit de ressortir les deux premiers albums de la chanteuse anglaise, Dana Gillespie, rassemblés en un double album à petit prix baptisé London Social Degree, du nom d’une de ses chansons les plus connues.
Dana Gillespie (69 ans aujourd’hui) a derrière elle une longue carrière de chanteuse de rock (dans les années 70) et de blues (par la suite) qu’on peut en grande partie oubliée. Elle a en revanche signé en 1968 et 1969 deux albums formidables, Foolish Seasons et Box of Surprises, qui portent sur eux la quintessence et le charme du Swinging London. Dana Gillespie y travaille avec Wayne Bickerton et Mike Vernon, deux des producteurs les plus côtés et aventureux de la décennie. Il faut dire que la jeune femme, qui débarque dans les cercles pop londoniens au sortir de l’enfance, a du caractère et de l’énergie à revendre. Championne d’Angleterre junior de ski nautique, Gillespie a un physique de sportive et une physionomie avenante. Elle est décidée et tombe dans la musique dès l’âge de 13 ans, date à laquelle elle donne son premier concert en tant que batteur. L’un de ses amis proches (et futur petit ami), un certain David Bowie lui conseille de passer au chant en lui expliquant qu’elle aura ainsi moins de matériel à trimballer et c’est ainsi que les choses se font. Dana Gillespie fréquente le Marquee Club à 14 ans et fait perdre la tête à tout le monde. A 15 ans, sa meilleure copine de l’époque sort avec le musicien Donovan qui la présente à l’équipe de Pye Records (qui s’occupe notamment des Kinks) qui lui signe un premier contrat pour quelques singles. Elle atterrit au final chez Decca entre les mains du célèbre Dick Rowe, connu à jamais pour être l’homme qui a refusé de signer les Beatles. Elle rencontre alors Dylan avec lequel elle reste très amie jusqu’à aujourd’hui.
Du ski nautique à David Bowie
Le premier album de Dana Gillespie est fait, comme c’est la tradition alors, de chansons écrites par d’autres. La jeune femme y interprète quelques compositions de Billy Nicholls, de Les Reed, une jolie reprise (No, No, No) de Polnareff et quelques pépites remarquables comme le magnifique Can’t You See I’m Dreaming où son chant qui hésite entre la pop et le blues, entre l’âge adulte et l’adolescence, est tout à fait merveilleux. Foolish Seasons est un autre titre mémorable, entre Bridget Saint John et l’élégance de Nico. Il y a une modernité dans les arrangements qui évoluent d’une production typique des années 60 assez ronflante à des décrochés folk ou à des influences indiennes aussi raffinées qu’osées à l’époque. Sur Dead, l’un des grands titres de cet album, mi-blues, mi-jazz, c’est Jimmy Page qui se charge de la guitare, tandis que Dana Gillespie se débat avec des paroles tragiques trop vieilles pour elle. L’album Foolish Seasons, malgré toutes ses qualités, passe relativement inaperçu. Decca ne sait pas trop quoi en faire et le vend mal. Dana Gillespie profite du flou qui entoure sa situation commerciale pour enregistrer rapidement un deuxième disque, Box of Surprises, où elle choisit d’alléger les arrangements et de se tourner vers une musique plus folk et centrée sur ses compositions. Des deux albums rassemblés par Rev-Ola, celui-ci est le plus proche des goûts de notre époque. C’est celui qui met le plus en relief les qualités de chanteuse, la beauté et le talent de Gillespie. L’album est audacieux, complexe et respire la féminité. Grecian Ode est une chanson merveilleuse d’équilibre et de poésie. On se situe ici au cœur de la pop anglaise, dans un environnement où tout est extrêmement soigné et où la musique se joue au millimètre. Gillespie enchaîne les morceaux de bravoure. Le fringuant I Was A Book exauce tous les fantasmes érotiques du bibliophile. Gillespie s’y présente comme un livre… offert à ses lecteurs, qu’il faut feuilleter et sur lequel on doit poser les yeux. La chanson ressemble à une version coquine de Sandie Shaw, zébrée de cordes. Plus loin, on trouve un remarquable Like I’m A Clown, une chanson où la jeune femme s’affirme redoutable et se rebelle après avoir été abandonnée par son mec. « Why do you laugh at me, i’m not a clown. It’s not as if i am amusing anyone except you. It’s not as if i smell something bad. I’m not a clown. You put me down. You put me down. What did you left me like i am a clown ? ».
Dans un autre registre, London Social Degree ressemble à un titre des Cardigans, enregistré avec 25 ans d’avance. Gillespie y raconte les aventures craquantes d’une écolière sur un mode uptempo réjouissant et solaire. Mais l’album cache aussi pas mal de mélancolie et de tristesse à l’image de ce qui est son titre le plus impressionnant, When Darkness Fell, qui ressemble à une chanson de Scott Walker au féminin. La production est assez géniale et d’une sobriété incroyable. Gillespie y signe une belle prestation vocale, pleine de souffrance et d’espoir mêlés. Avec Souvenirs of Stefan, la chanteuse nous plonge dans un mélange onirique et psychédélique qui fonctionne comme un enchantement et une caresse sur la joue. Que dire des rythmes indiens de Taffy qui donnent envie de faire l’amour pendant des heures sur un tapis persan en faisant danser le(s) serpent(s) ? You Just Gonna Know My Mind est une tuerie pop que n’aurait pas renié Ray et Dave Davies.
Ces deux albums forment un ensemble à la fois cohérent et ultra-séduisant qu’on découvrira avec un immense plaisir immédiat. London Social Degree est un plaisir de gourmets, certes un brin nostalgique, mais qui fait ressurgir la pertinence et les qualités d’une époque où les femmes s’exprimaient déjà avec beaucoup de liberté et de caractère. Dana Gillespie a fait partie, à sa modeste échelle, de celles qui ont fait avancer la cause et posé les fondements d’une certaine idée de la pop anglaise telle qu’on a pu l’aimer jusqu’à aujourd’hui. Un rendez-vous manqué avec Bowie qui avait été pressenti pour produire son 3ème album l’emmènera ensuite dans une direction musicale tout à fait différente, au cinéma et ailleurs. Mais c’est une autre histoire…
PS : on ne résiste pas à la tentation de visionner cette vidéo sa première apparition au cinéma. Gillespie a alors 16 ans et… une jolie robe.
02. By Chasing Dreams
03. Can’t You See I’m Dreaming
04. Dead
05. Describing You
06. Foolish Seasons
07. Foolish Seasons 2
08. For David, the next day
09. Grecian Ode
10. Hard Lovin Loser
11. He loves me, he loves me not
12. I Was a book
13. I Would cry
14. If you’re dreaming
15. Life is short
16. Like i’m a clown
17. London Social degree
18. No ! no ! no !
19. Souvenirs of Stefan
20. Taffy
21. Tears in My Eyes