Beak> / >>>>
[Invada Records]

9 Note de l'auteur
9

Beak - >>>>Et si à force de s’extasier sur l’album de Beth Gibbons, on avait pas compris que des albums des membres de Portishead le plus cool était celui de Beak> ? Et si à la voix triste de la chanteuse brésilienne, on préférait depuis toujours l’électro pop mélancolique et expérimentale de Geoff Barrow, Billy Fuller et Will Young ? Et si Beak> avait toujours été depuis ses débuts notre groupe préféré pour rêver les yeux ouverts et pleurer intérieurement ?

Sans doute est-il débile de comparer un disque à un autre, d’autant que les deux albums ont assez peu à voir, si ce n’est d’avoir été produit par des personnes qui ont fait de belles choses ensemble et d’être tous les deux… à leur façon… de très grands disques. On attendait celui de Beth Gibbons avec impatience. On a reçu celui de Beak> qu’on avait pas vu venir comme une offrande, un cadeau de dieu (où qu’il se trouve). L’un est presque classique et académique comparé au caractère pionnier de l’autre.

>>>> est le successeur de >>> excellent disque sorti en 2018 et qui précédait lui-même, >>, autre excellent disque (2012) qui précédait un album qui ne s’appelait curieusement pas > et qui reprenait des enregistrements du groupe datés de 2009. Les fans du groupe auront fait le chemin tout seul : les Bristoliens ne sont pas toujours faciles à suivre (encore que…) et pas forcément parmi les groupes les plus productifs (4 albums en 15 ans). La sortie de ce quatrième album était « dans les tuyaux », annoncée pour « prochaine » mais on ne s’attendait pas du tout à ce qu’elle arrive juste là et sans vraiment prévenir. Il n’y a eu ni single, ni pub, ni rien du tout. Certains sites et magazines ont toutefois été mis dans la confidence (sans la date de sortie), ce qui a permis (les trois hommes ne sont pas idiots) à quelques grosses écuries journalistiques de livrer leur chronique et/ou une interview le jour J.

Le disque a été enregistré dans un endroit paumé du Pays de Galles et dans les Studios Invada à Bristol. Les trois hommes ont semble-t-il composé comme à leur habitude, à partir de lignes de basse poussées par leur catalyseur en chef Billy Fuller. C’est Fuller qui démarre les expérimentations qui servent de base aux morceaux et le groupe, sorte d’équipe de football et de trouple de musiciens adeptes de l’amitié éternelle et de la déconne, qui les complète en ajoutant de ce qui lui passe par la tête en studio : des synthés à gogo, à l’apparence toujours désaccordées et aux sonorités galactiques, des delays qui étirent les morceaux pour leur donner une allure étrange, planante et comme biberonnée aux drogues lysergiques. La couverture est une photo de Alfie, le chien décédé de Geoff Barrow, qui est aussi le « sujet » de Strawberry Line, le morceau monumental de 8 minutes qui ouvre l’album. Cette entrée en matière est parfaite : on pense à quelques pièces funèbres des Psychic TV de Genesis P-Orridge ou encore au Stigmata de Martin Rev (qui lui écrivait sur la mort de son épouse).  Le son de batterie est enregistré « à la Steve Albini » comme on pourrait dire désormais, c’est-à-dire à même le fût. La production à partir de la cinquième minute est merveilleuse, sombre et religieuse, montée dans un crescendo redoutable qui marie efficacité rythmique absolue et sens du sacré. C’est un vrai coup de maître et ce n’est pas fini. Critiquer >>>> n’est pas du tout un cadeau. On pourrait dire que c’est un album génial, passionnant, vraiment PASSIONNANT, mais ce serait sûrement un peu court et un peu sec.

On peut prendre tout ce qu’on a dit de bien sur le groupe et le multiplier par deux ou trois, tant il y a ici de quoi faire. The Seal prend presque le contre-pied du premier morceau : la rythmique est chaloupée, répétitive, presque dansante. Le groupe distille un effet de suspense qui se construit pas à pas et transporte l’auditeur jusqu’à un final redoutable et qui vient se déverser dans un Windmill Hill qui figure parmi les meilleurs titres du disque, tendu, sombre et déjanté. En 2 minutes et quelques, on assiste à une sorte de parade barrée, avec une voix distordue et placée très en retrait, un défilé de dinguerie accompagné par des guitares casserole qui renvoient à l’âge d’or du psyché prog rock des années 70. Avec les titres suivants, Beak> renoue à la fois avec un format plus pop et presque new wave. Denim a de faux airs d’un Cure des premiers temps joué par des gnomes. Il se termine en simili hard rock/grungy avec un riff duraille qui s’entrechoque avec un chant à la NIN. On plane sur un Hungry We Are lumineux et pop ligne claire, mitraillé d’éclats électro. Le chant est choral façon californienne et la batterie jazzy cool. Tout cela est très bien fait. On pense un peu à Can, à ce mélange de rock déstructuré, de jazz postural et de relâchement sur Ah Yeh. Il y a toujours eu du funk chez Beak> et cela s’entend ici assez nettement. A vrai dire, on ne sait pas trop à quel saint se vouer. Secrets est une tuerie synthpop, heurtée et stimulante. Bloody Miles est également remarquable, avec un faux rythme et un coté transgenre qui impressionne.

>>>> sonne comme une réalisation majeure de l’electro-psychédélisme. C’est un album formidablement produit qui déstabilise, fout un peu la trouille mais est aussi bienveillant, cosy et rassurant dans l’expression d’une tristesse rebondie et…sereine. Il n’y a pas grand chose de spectaculaire là-dedans : juste de l’art, la manifestation la plus élevée de l’intelligence humaine, l’expression d’une sensibilité collective que l’on est pressé de retrouver sur scène. Le groupe jouera le disque dans l’ordre et en intégralité dès novembre. Cela devrait valoir son pesant de cacahuètes. Ce disque est d’une intelligence telle qu’on est certains qu’il va gagner en valeur au fil des écoutes.

Tracklist
01. Strawberry Line
02. The Seal
03. Windmill Hill
04. Denim
05. Hungry Are We
06. Ah Yeh
07. Bloody Miles
08. Secrets
09. Cellophane
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