Privé de son metteur en sons favori, Dan Nakamura aka The Automator, le précédent retour du Dr Octagon, en 2006, était une catastrophe. Cette fois, Kool Keith reprend son personnage favori en bonne compagnie et donne enfin un successeur digne de ce nom au Dr Octagonecologyst de 1996.
Impossible en effet d’évoquer ce troisième album du Docteur sans se référer au choc produit par l’irruption de ce duo incroyable sur la scène hip-hop du milieu des années 90. Kool Keith débarquait sur cet album avec sa folie (l’homme est en effet réellement « dérangé ») et une capacité à nouer des rimes surréalistes à un flow des plus classiques. Dan The Automator, tout jeune à l’époque, s’imposait avec une production digne du RZA, solide et inspirée, mêlant une forme de classicisme dans les beats à des inspirations sidérantes d’ouverture créant des brèches entre l’habillage hip-hop, le sample, les musiques classiques ou rock. Avec cet album de 1996, Kool Keith inventait son propre style : un genre à lui tout seul où le hip hop old school allait taquiner la beat generation du côté de l’impro et des flux de conscience. Moosebumps : an exploration into Modern Day Horripilation (titre splendide au demeurant) prolonge cette aventure avec les moyens d’aujourd’hui. Kool Keith est probablement un poil moins timbré (encore que…) et Automator a une assurance dans ses productions qui font de ce troisième épisode, porté également par les scratches impeccables de DJ QBert, un incontournable du rap d’aujourd’hui.
Le docteur est un cochon de l’espace
Ca démarre en fanfare avec un premier titre phénoménal de virtuosité et de puissance. Octagon est devenue une franchise et un produit marketing international, une marque qui se décline dans des milliers de produits dérivés. C’est ce qu’imagine le MC dans ce premier morceau et cela fonctionne pour suggérer un univers alternatif aussi bizarre qu’oppressant. Sur le premier opus, Octagon incarnait un chirurgien obsédé sexuel capable de voyager dans le temps à la façon du Dr Who. C’est ce personnage qui revient ici, avec toutefois un peu moins de suite dans les idées, mais on retrouve avec plaisir, outre le flow de Kool Keith, ses obsessions pour la SF et le sexe. Polka Dots est un modèle du genre, sexuellement affolant et irrésistible. Automator est affûté, inspiré et d’un classicisme affolant. Kool Keith fait le boulot avec sobriété, tandis que DJ QBert rappelle que les scratches, quoi qu’on en dise, ne seront jamais démodés. La basse est un élément majeur dans la signature sonore d’Automator. C’est elle qui donne la force et une structure aussi solide à la plupart des morceaux à l’image du superbe Flying Waterbed où le producteur incorpore des sons indé avec le plus grand naturel. DJ Qbert a son heure de gloire sur l’instru Bear Witness IV et s’en sort brillamment. On croise Deltron aka Del The Funky Homosapien pour un crossover brillant des deux personnages les plus célèbres du rap space opératique. 3030 Meets The Doc Part 1 est l’un des sommets de l’album, annonçant (qui sait ?) une collaboration diplomatique sur la durée d’un album. Le flow de Del The Funky est ce qui se fait de mieux sur le marché. Le retrouver ici est un plaisir inespéré. Que dire de Operation Zero et de son accroche magistrale : « Hey, where you’re going ? To the Library. Oh, you read boOOOOOoks ? Oooh yeeeeeaaaah ! ». Quel morceau ! Automator donne une leçon de près de cinq minutes sur la manière de relancer l’intérêt avec discrétion et inventivité. Kool Keith est parfait de bout en bout, tandis que QBert livre un solo conclusif après 3 minutes et quelques de toute beauté.
Karma Sutra est aussi outrancier et outrageant que son titre le laisse penser mais s’enlise quelque peu dans un manque de variations. Il y a bien sûr quelques petites chutes de rythme mais difficile de résister à la puissance des trois hommes. Hollywood Tailswinging est sombre et taillé pour mettre en valeur le flow vif et agile de Kooth Keith. Qu’on soit dans le dépouillement dark comme ici ou dans un habillage plus sophistiqué comme sur le très old school Area 54, on sent dans ce Moosebumps toute la science et le talent de cette réunion formidable. Si l’on ajoute à l’ensemble au moins un tube instantané avec l’entêtant Power of The World (s curls), le bilan de ce troisième épisode des aventures du Docteur est plus que positif.
Moins décisif qu’en 1996 mais tout aussi pertinent, inspiré et hilarant, Dr Octagon s’impose, sur la force et l’expérience de son trio, comme un album essentiel de cette année rap quelque peu timide de l’autre côté de l’Atlantique. Les amateurs ne seront pas déçus et ceux qui (il y en a beaucoup ici) ne se sont toujours pas ralliés à la cause pourront peut-être y trouver la voie d’une conversion. A ce degré de virtuosité, le hip-hop est tout bonnement irrésistible. Automator est l’un de ses saints patrons et Kool Keith son apôtre le plus azimuté et extralucide. Les consultations sont toujours remboursées de toute façon.
02. Polka Dots
03. Black Hole Son
04. Power of The World (S curls)
05. Operation Zero
06. Bear Witness IV
07. Area 54
08. Flying Waterbed
09. 3030 Meets the Doc Part 1
10. Karma Sutra
11. Hollywood Tailswinging
Bonus Track