Echobelly était probablement un bon groupe de saison. Triomphant en 1994 avec Everyone’s Got One, le groupe de Sonya Madan nous avait été apporté sur un plateau par Morrissey lors d’une tournée. L’ancien chanteur de The Smiths avait alors fait de la jeune chanteuse son alter ego féminin et loué son chant, sa voix et la façon dont elle désignait ses chansons. « Tout pareil », même si on savait d’emblée que ce n’était pas tout à fait le cas, on avait marché, pour un album, deux et pour les plus persévérants le Lustra de 1997. Pour les historiens, il y en eut même deux autres, en 2001 et 2004 dont il faut avouer qu’on a tout oublié. Les disques d’Echobelly ressortent d’eux-mêmes de notre discothèque une fois tous les dix ans mais n’y restent jamais très longtemps. Après quelques tergiversations sur son nom (deux ep sortis sous l’étiquette Calm of Zero, dont on retrouve deux morceaux ici), le groupe s’est officiellement reformé en 2015 pour un concert à succès et nostalgique avant de remettre le couvert grâce à un financement participatif. Et nous y voici.
Anarchy and Alchemy s’organise autour de Sonya Madan et du guitariste Glenn Johansson, deux des membres fondateurs du « groupe originel ». La seconde guitariste, Debbie Smith, a quitté l’aventure depuis belle lurette et fait maintenant le DJ dans des clubs lesbiens. Son jeu de guitare tendu et énergique, et son allure impeccable (noire et lesbienne), avaient fait beaucoup pour la singularité du groupe à l’époque. Le duo Madan/Johansson, épaulé par deux nouvelles recrues, plus de vingt ans après son heure de gloire, fait encore un boulot admirable. On craint un peu à l’entame (un Hey, Hey, Hey lourdaud) que la musique d’Echobelly ne soit exagérément ralentie par l’âge. Le jeu de guitare de Johansson est un poil pataud et trop blues rock pour nos oreilles mais ne constitue finalement pas un handicap rédhibitoire. Firefly n’est pas un modèle de légèreté mais on y retrouve avec un plaisir intact la voix chaude et incroyablement expressive de Sonya Madan. Il faut avouer que c’est la frontwoman qui avait valu le déplacement à l’époque et qui continue, album après album, de donner toute sa saveur au groupe. Sa voix reste magnifique, sensuelle, mielleuse et en même temps ultramodulée et pleine d’énergie. Madan sauve Firefly avant d’enchanter un Anarchy and Alchemy qui ne tient que par elle. Les textes évoquent l’amour, le temps qui passe mais aussi les bonnes vieilles rengaines que sont la tolérance, l’ordre établi, ces autres qui vous oppressent et vous contraignent malgré eux.
L’album n’est pas un chef d’œuvre. La musique est trop académique pour cela, le tempo partout trop lent. Mais il offre d’excellents moments. Reign on en fait partie, en mode balade mineure, humée comme l’air du soir. On y retrouve des guitares graciles et une voix papillon. Dommage que chacun des morceaux soit étiré autour des quatre minutes. C’est le travers de l’époque. Il faut faire le déplacement aussi pour le Flesh n’ Bones, une chanson superbe, émouvante, même si elle manque de relief. Echobelly ne réussit pas vraiment à passer la surmultipliée et s’empâte lorsqu’il s’agit de jouer plus vite. If The Dogs Dont Get You My Sister Will (prix du plus joli titre) n’est pas si mal mais là encore a tendance à s’enliser à mi-course. Faces in The Mirror est une chanson un brin mièvre et country folk mais elle fonctionne merveilleusement bien. On peut se laisser envoûter facilement par la voix de Madan et avoir le sentiment un instant qu’on est revenu 25 ans en arrière. Ces instants où on renoue avec l’espoir et les émotions du jeune adulte qu’on était sont évidemment inestimables. Madan et nous avons eu un temps les mêmes rêves de réussite et de concorde. Nous avons entrevu ensemble une société meilleure et plus tolérante. Et puis nous sommes entrés dans le trou noir, incapables de changer les choses. Comme Echobelly, nous nous sommes tus et nous avons disparu dans le tourbillon de la vie quotidienne. On peut pleurer sur Molotov, c’est une chanson remarquable et qui est faite pour ça. « Living a life that was someone else’s. Really should be someone else. Hit me with the feeling i was wrong. Hit me with the feeling i was someone else’s. », chante Madan comme si elle se réveillait après un mauvais rêve. C’est le comble dramatique des vies humaines : elles ne sont jamais vraiment à nous. Nous sommes tous devenus quelqu’un d’autre. La fin est notre seul horizon. Il n’y aura jamais de comeback pour personne.
Anarchy and Alchemy se termine plutôt bien avec Autumn Angel et surtout un Dead Again profond et bien emmené. « I am here again. I am dead again. Is it all you see ? » interroge la chanteuses sur le final. L’Echobelly d’aujourd’hui a encore un certain pouvoir sur nous. C’est un pouvoir de sorcier, de nécromancien qui ne tient qu’en répétant les formules qui nous animaient hier. On peut trouver morbide notre intérêt pour la musique de ce groupe, mais la pop ne fait jamais que ça : faire passer la mort pour la vie, le temps qui passe pour la jeunesse. Il vaut mieux écouter Echobelly que se faire opérer, se laisser pousser une barbe de hipster ou se fringuer comme un jeune. Chacun sa cause. Toutes perdues.
02. Firefly
03. Anarchy and Alchemy
04. Reign On
05. Flesh n’ Bones
06. If The Dogs Dont Get You My Sister Will
07. Faces in the Mirror
08. Molotov
09. Autumn Angel
10. Dead Again
Lire aussi :
Saffron Eyes / Smile Until It Hurts