La sortie de ce disque est tout sauf une nouveauté. L’enregistrement du concert donné par Morrissey le 22 décembre 1988 au Wolverhampton Civic Hall, dans sa captation radio, est l’un des disques les plus célèbres de la discographie souterraine (et pirate) de l’ancien chanteur de The Smiths. On en reparle aujourd’hui car le label Sonic Boom, célèbre éditeur de pirates et autres enregistrements non officiels, vient de mettre en ligne sur deezer et les réseaux digitaux (forme d’officialisation de ce qui ne l’était pas et ne devrait sans doute pas l’être) ce First Among Equals, sorti sous cette forme en 2019 ou 2020, et d’en relancer une série en édition CD. Le son n’est pas toujours génial mais exceptionnellement lisible (et presque plat) compte tenu de l’immense bordel sonique qu’aura été ce concert historique.
L’événement Wolverhampton se situe en effet très haut dans la mythologie de Morrissey et des Smiths. C’est techniquement le 1er concert solo de Morrissey, intervenu deux ans après la sortie du dernier album des Smiths, Strangeways, Here We Come, et huit ou neuf mois après le premier disque solo de l’artiste, Viva Hate. Le concert est surtout gratuit pour celles et ceux qui arborent un tee-shirt des Smiths ou de Morrissey. Le lieu accueille officiellement 3 000 personnes tandis qu’une vingtaine de milliers se présentent…. La sécurité en laisse entrer une bonne partie ce qui explique le caractère incandescent de la soirée et le sentiment de danger et de menace qui pèse sur toute l’organisation, lequel n’est pas forcément perceptible sur le CD. Les fans sont déchaînés, Morrissey tout autant et au sommet de sa séduction beat (mouvements de hanche et tours de langue érotiques en prime), tandis que ses musiciens (les Smiths en entier, soit Rourke, Joyce et Craig Gannon, moins Johnny Marr bien sûr) semblent soucieux, à l’entame, et sans doute impressionnés par la ferveur ambiante et l’intensité de l’intérêt d’une foule qui se concentre exclusivement sur le chanteur. On peut écouter le disque et aussi regarder les vidéos en ligne : c’est une aventure.
First Among Equals est un concert bref (7 titres et un rappel fougueux sur Sweet and Tender Hooligan) qui dépasse évidemment par son énergie, sa passion, le chaos qu’il dégage, mille fois son intérêt vocal et musical. Morrissey chante comme il chante à cette époque, souvent sur le fil, en se laissant porter par une émotion, une colère, un désir insensés. La version de Suedehead est incroyable, presque hurlée dans un instant de communion (et de fausseté) indépassable. Le chant est saccadé, poussé entre deux accolades, une chute, mais toujours héroïque et conquérant. L’accompagnement est peu mis en valeur et souvent maladroit, balbutiant parfois s’agissant de morceaux des Smiths qui n’ont jamais été joués sur scène avant, et de nouveautés magnifiques qui font de Viva Hate et surtout de Bona Drag (la compilation qui suivra) des sommets indépassables. La quasi totalité des chansons de la setlist sont données en public pour la première fois, ce qui est en soi assez exceptionnel.
Ici, on a droit à un festival de futurs classiques tels que Interesting Drug (un peu balourd pour sa première), The Last of The Famous International Playboys et bien sûr les chansons parfaitement taillées pour le live que sont Disappointed et Sister I’m A Poet. Le final, Sweet And Tender Hooligan, est évidemment une tuerie qui n’a ni début, ni fin et qui se situe à un niveau d’émotion exceptionnel.
Étrangement ce qui sonne comme les débuts de Morrissey en solo et comme l’entame d’une carrière brillante peut aussi s’interpréter comme le chant du cygne d’une époque (1984-87), celle des Smiths et de ces années là, qui va bientôt laisser la place à une autre génération. On est à deux doigts de l’explosion mancunienne des Stone Roses, des Happy Mondays et de quelques groupes qui vont immédiatement recouvrir et voler la vedette aux groupes à guitares qui avaient tenu le haut de l’affiche les années précédentes. Wolverhampton est-il le triomphe de Morrissey ou le baroud d’honneur de ce qu’il a représenté pendant quelques années en et pour l’Angleterre ? La question est posée.
Il y aura évidemment ensuite d’autres occasions discographiques de se réjouir (plusieurs chefs d’oeuvre), des temps d’adoration infinie avec le public mais d’une certaine façon, rien qui égale, en beauté esthétique (la tournée US de 1992 peut-être), en force et en impact ce moment précis. C’est pour cette raison qu’il faut jeter une oreille à cet enregistrement historique, bâtard et tragique comme un vieux western ou un film de guerre qui finit bien et mal à la fois.
02. Disappointed
03. Interesting Drug
04. Suedehead
05. The Last of The Famous International Playboys
06. Sister I’m A Poet
07. Death At One’s Elbow
08. Sweet And Tender Hooligan
09. Morrissey Interview 1987
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