Elvis Costello est le plus grand crooner punk en activité. Vous pouvez oublier Morrissey pour quelques instants et vous concentrer enfin sur une vraie musique fédératrice, rassurante et intelligente, calibrée pour les thés dansants d’anciens bébés indé. Costello a eu ses embrouilles racistes lui aussi (une conversation avinée à la fin des années 1970 où il avait traité James Brown et Ray Charles de négros débiles….) il y a plus de quarante ans et tout ceci est de longue date oublié. A 64 ans et quelques, l’Irlandais est au sommet de sa forme. On ne sait pas trop où il en est de son cancer mais on n’en croit pas ses yeux et ses oreilles quand on l’entend faire le spectacle sur le formidable Don’t Look Now, un classique instantané qui parle d’un top model aux prises avec la gente masculine. Look Now est son premier album depuis un projet collaboratif avec The Roots sorti en 2013 ainsi que l’album des retrouvailles avec son groupe The Imposters, avec lequel il n’avait pas travaillé depuis une dizaine d’années. Pour un retour aux affaires, c’est un euphémisme de dire que c’est un retour gagnant tant on prendra de plaisir à découvrir ce disque chargé jusqu’au trognon (16 titres).
Look Now est un mélange de pop (un peu rock) et de musique pour les vieux. On y trouve d’étranges machins funk soul comme l’ultra cool Burnt Sugar Is Bitter, des cuivres de big band et des arrangements à l’ancienne qui viennent témoigner de l’âge du capitaine et de son tropisme américain. Sur Unwanted Number, Costello fait frissonner des chœurs à l’arrière-plan avant de s’envoler dans un plan qui fait penser à un remake en apesanteur des Talking Heads. On se croirait chez Sinatra sur l’incroyablement digne et classieux I Let The Sun Go Down. Cela sent l’épuisement et l’usure mais Costello garde la tête haute et s’il peine à tenir les finales, joue au gars qui vit ses dernières minutes avec juste ce qu’il faut de théâtralité. Avec et à la Burt Bacharach (avec lequel il collabore sur 2 morceaux) sur le splendide Photographs Can Lie ou à la Elvis en gravité et en emphase mélancolique sur le non moins réussi Suspect My Tears, Costello s’appuie sur des productions ronflantes à la Phil Spector ou sur des tapis de cordes plus raffinés (le touchant You Shouldnt Look At Me That Way) pour donner une modernité (paradoxale) à ses chansons démodées. Les Français ont droit à leur balade romantique (et complètement ridicule, disons-le) Adieu Paris (l’Envie des Etoiles) qui vaut à elle seule le déplacement. La chanson est chantée partiellement en français et fait ressembler Costello à un Julio Iglesias s’exprimant avec un fort accent croate.
A cette faute de goût (attendrissante) près, Costello évolue dans un registre clairement plus intimiste et domestique que d’ordinaire, ne s’autorisant que très peu de détours politiques ou satiriques. Look Now est un album qui parle d’amour, de la fin de la vie et des tombées de rideau (The Final Mrs Curtain). On sait que l’artiste avait annoncé il y a quelques années qu’il raccrochait car il ne croyait plus (avec l’arrivée du mp3 notamment) à l’avenir des musiques qu’il pratiquait. Il semble que Costello ait retrouvé avec cet album un sens à son art dans une forme d’emprisonnement volontaire au cœur d’une bulle spatio-temporelle… américaine et située quelque part dans les années 50 et 60. A l’écoute des 16 titres de l’album, on ne dira pas que c’est un mauvais choix. Comme plus personne n’écoute un album en entier et dans l’ordre, on ne peut même pas dire que Costello s’essouffle dans la durée et qu’on aurait bien fait parfois sans toute cette sophistication néo-classique. Mais ne faisons pas la fine bouche, il faut prendre ce qu’on nous donne et apprécier l’offrande pour ce qu’elle vaut. Look Now est un album aimable, parfait pour épater les amis et les grands-parents pendant la période des réveillons et bercer (d’ici quelques décennies) nos derniers instants.
02. Don’t Look Now
03. Burnt Sugar Is So Bitter
04. Stripping Paper
05. Unwanted Number
06. I Let The Sun Go Down
07. Mr & Mrs Hush
08. Photographs Can Lie
09. Dishonor The Stars
10. Suspect My Tears
11. Why Won’t Heaven Help Me ?
12. He’s Given Me Things
13. Isabelle In Tears
14. Adieu Paris (l’envie des étoiles)
15. The Final Mrs Curtain
16. You Shouldn’t Look At Me That Way