Il est entendu que foot et pop ont souvent fait bon ménage et que les parallèles sont plutôt pertinents à dresser. On voit sans peine ce que peut représenter la Ligue des Champions de la pop musique et à l’autre bout de l’échelle, ces groupes de district, amateurs éclairés, passionnés, répétant avec la même régularité que celle d’autres qui s’entrainent à la sortie du boulot pour tenir leur championnat à eux (un bar, une salle des fêtes, la fête de la musique, l’anniversaire d’une copine) et de temps en temps, s’offrir un tour de coupe avec une Ligue 1 en ouvrant par exemple pour Daho à Bordeaux. Le FC Fandor fait indéniablement partie des meilleures équipes du coin, consciente de ses atouts, de ses faiblesses, ne cherchant que la beauté du jeu et l’amour du temps passé entre copains. Comme tout passionné, fortunes et infortunes n’ont strictement aucune prise sur la volonté d’aller de l’avant et de persévérer sans autre objectif, et ce n’est déjà pas rien, que d’écouler le stock de disques pressés en n’étant d’ailleurs souvent, comme c’est encore le cas aujourd’hui, jamais mieux servi que par soi-même tout en préparant le suivant.
Fandor, c’est donc Laurent Barnaud, cinquantenaire bordelais, pionnier parmi d’autres de l’indie pop à la française dont l’éclosion au mitan des années 1990 a suscité bien des vocations. D’abord bassiste chez Lemon Curd (où un juvénile Kim Giani tenait la batterie), il officie d’abord dans le giron du mythique label Cornflakes Zoo avant de monter sa propre structure, Nemo Records sur laquelle il sortira en 1998 le dernier disque des Lemon Curd (le très bon album Kissing The Blarney Stone) en même temps que son premier album en solo au titre évocateur, Spare Time. Chewing-Gum sorti ces dernières semaines chez Nemo Records n’est que son cinquième album en 22 ans, mais le deuxième depuis 2018 : les parents partent, les enfants grandissent, la vie avance et il y a tant de chose à en dire que la musique, qui plus est entre copains, devient un vecteur évident pour évoquer ce temps qui passe. Mais bien que parfois empreint d’une douce mélancolie, ce Chewing-Gum n’a rien d’une boule gluante collée sans saveur au dos d’une chaise d’écolier. Non, il est plus le symbole d’une pop légère et colorée, à l’image de la pochette champêtre, une pop bubblegum qui éclate au visage des enfants dans un grand étonnement auquel succède immédiatement sourires et éclats de rires.
Bien qu’expérimenté, Fandor joue sans vergogne la carte de l’amateur éclairé, celle de cette pop où comptent avant tout les intentions et le résultat final, bien plus que le processus entre les deux. Une pop enregistrée dans la cave, parfois en famille, sans grands moyens autres que ceux du bord. En d’autres termes, entrer dans l’univers de Fandor, c’est d’abord s’attacher au fond plus qu’à la forme. Cela fait, on oublie quelques influences parfois trop prégnantes, la production quelque peu rachitique et l’usage omniprésent d’une boite à rythme un peu cheap qui inscrivent aussi ce disque dans une belle et longue tradition « indie pop » pour se concentrer sur les jolies mélodies de Fandor et ses textes touchants, désarmants parfois, d’une belle sincérité.
C’est que ce disque ne manque pas d’atours et de reliefs. Vitaminé, il offre quelques bombinettes de cette bubblegum pop sautillante tel ce Chewing-Gum d’ouverture où se disputent guitares noisy et orgue sixties, le concis et très kawaï Stella Made In Japan ou le très surf Une Ombre Sur Notre Vie. Quand il sort la guitare acoustique, Fandor se fait calme et rêveur et nous embarque sur Une Mer Infinie, rend un très bel hommage (Sous Tes Rides, celles de sa maman probablement) et égaye le feu de camp de Ce Même Soir. Classique et inspiré, un bel album se doit de renfermer aussi quelques moments tout doux, alors Fandor ralentit le rythme, tamise la lumière et nous entraine dans de véritables slows d’où transpirent son amour des beaux arpèges et de l’un de ses héros de toujours, Etienne Daho. C’est Une Ville Engloutie et surtout La Villa qui conclut le disque, au petit matin du côté de la pointe du Décollé. A Saint Lunaire évidemment. Mais de cet album joliment vallonné se dégagent aussi de beaux reliefs qui révèlent un Fandor largement capable de dépasser ce coté bubblegum pop revendiqué pour aller vers une écriture plus profonde, vraiment maitrisée. Lorsqu’il aborde Les Rivages De Nos Sentiments, c’est sous la forme d’une pop sophistiquée (on pensera à Blueboy, à Prefab Sprout) qu’il prend le temps de développer pour lui faire gravir des cimes que l’on ne connait pas beaucoup dans les plaines aquitaines, rejoindre Je Ne Comprends Pas Pourquoi, chanson un peu mal embarquée mais qui décolle avec sa ligne de basse groovy, son refrain aérien soutenu par de discrets claviers et des guitares finales de toute beauté.
Réduire Fandor à un quinqua qui s’encanaille avec ses copains en bricolant une pop rigolote reviendrait donc à passer à côté d’un type qui depuis des années écrit, compose, enregistre avec toute la discrétion due au genre des chansons qui tiennent parfaitement la route, trouvant parfois la clé pour se sublimer à travers un texte particulièrement touchant ou une ligne mélodique se détachant des autres. Chewing-Gum, affranchi de la moindre ambition commerciale, est un disque qui se détache avant tout par la sincérité de la démarche d’un auteur loin d’être dénué de talent et qui livre ici 16 tranches d’une vie dans lesquelles chacun retrouvera un peu de soi.
02. Je Ne Comprends Pas Pourquoi
03. Stella Made In Japan
04. Birds In My Head
05. Une Mer Infinie
06. Lula
07. Les Montagnes Russes
08. Nos Amitiés
09. Sous Tes Rides
10. Jusqu’A Demain
11. La Ville Engloutie
12. Une Ombre Sur Notre Vie
13. Ce Même Soir
14. Ne Vois-Tu Pas Venir?
15. Les Rivages De Nos Sentiments
16. La Villa