Camp Claude / Moody Moon
[coronando]

9.3 Note de l'auteur
9.3

Camp Claude - Moody MoonC’est un des groupes pour lesquels SBO était au premier rang, observant l’éclosion puis la mue d’album en album : on était là en clinique dès le premier jour pour Camp Claude. C’est rare de voir un groupe que l’on a accompagné par écrits se transcender artistiquement en dépassant toutes attentes. En ces temps troublés où la critique musicale doute de son rôle, quel bonheur d’avoir Moody Moon entre les oreilles…! On ne va pas s’imaginer un quelconque rôle dans cette nouvelle itération auprès du groupe, mais rien que de la constater, de la couler dans la toile pour le partager est un émoi.

Jeanne de la lune

Alors que certains pensent que Camp Claude prenait la direction d’une pop généraliste (peut-être – et ?), sous-entendu désincarnée (ça, on ne peut laisser passer ça !), il ne fait décidément rien comme les autres : Moody Moon est un grand-huit se permettant le luxe de ne démarrer qu’à sa seconde piste. Crystal in My Mind est incroyable. Les paroles sont simples et absolument fluides, s’enveloppant d’un mystérieux nuage nous obsédant, sans jamais se donner de grands airs. C’est peut-être cela que on aimerait de la pop : quelle soit d’une simplicité sautillante, généreuse et primesautière. Pas d’écriture alambiquée ici, mais simplement astucieuse, vous empoignant les méninges : « I’ve got a secret love / I won’t tell anyone / He moves into my nights« . Comme le grouillement technoïde et les grilles de guitares de Leo Hellden, la voix agit sur nous comme cette présence venant perturber les rêves de sa chanteuse, tout du moins son personnage. Puis vient l’irrésistible injonction : « Oh embrace me, my mystery love« . Cela va de soi : on s’exécute manu militari.

Évidemment, on ne peut évoquer l’écriture sans son contenant, son actrice : la plus que séduisante voix de Diane Sagnier, dans un premier rôle comme toujours d’un éternel féminin, à la fois hantée mais bravache, cotonneuse mais vallonnée. Très directe et s’offrant à la première écoute, Everynight révèle encore des strates encore inexplorées après. Celles-ci, la chanson et la voix de sa chanteuse, se voit magnifier à travers son dialogue avec Michael / Mike Giffts aka Rocket Mike aka encore Mau, le claviériste et second rôle (et pas que) vocalement absent depuis Double Dreaming (2019), sorte de Maxi Jazz de Faithless dont on apprécie la sècheresse vocale, taciturne. C’est simple : dès qu’on l’entend, on a la banane. On ne sait jamais si le jeu de Mike s’incarne dans une conscience espiègle et cynique, un démon galopin de Diane, ou plutôt comme un écho (là encore, n’appartenant qu’à Diane) du protagoniste pour lequel la chanteuse en pince, mais les deux se magnifient dans ce dialogue inégal, l’une en première ligne, l’autre en retrait. En arrière base, Léo les couvre avec quelques cordes évoquant ses écoutes adolescentes de New Order et Cocteau Twins d’autres groupes anglais de l’époque, nous trottinant dans la tête.

Sortez ouverts

Il y a quelque chose d’indubitablement pop et ludique dès que se déploie la voix de Diane, et cela même quand les instrumentales ne semblent s’y prêter – oui, une véritable joie en émanant, comme sur cette très anglaise Game Boys, vous mettant tout sourire dès le matin. Contenant en lui deux ingrédients sur trois de Tristesse Contemporaine, la tentation électronique effectuée par l’excellent United se fait contagieuse aussi chez Camp Claude, mais, paradoxalement, c’est à présent celui-ci qui présente un climat plus frais et gelé que Tristesse Contemporaine. Diane perd un peu ses accents Texas, la cause à un album moins enraciné, plus éthéré. Par son travail de déformation des voix, Mike rappelle par moments les expérimentations de will.i.am pour The Black Eyed Peas sur leur album The END (2009), quand le groupe avait l’ambition de faire entrer le hip hop sur le terrain électro. « I saw you looking around (I saw you looking around) » sur l’endiablée Make You Move, répété en miroir, donne cet aspect tourbillonnant et fuligineux, légèrement psyché.

On adore le fait que, bien que tenant sur des durées relativement resserrées, les pistes se métamorphosent en cours de route, prouvant là encore que le groupe veut jouer avec nous. La musique est parsemée de gimmicks ébouriffants – le « hmmmm dada-hum » de Diane sur Not Alone, ou un « Shadam » sonnant comme un « shut up! » voulant masquer une vérité qu’on aimerait mieux ne pas se voir adressée – et d’effets de répétitions prouvant que le groupe écoute un large spectre musical, notamment la musique électronique. Le groupe fait aussi bien penser à Saint Étienne et Massive Attack qu’Agar Agar, tout en s’en dépareillant. La confiance que tiennent les deux garçons à l’égard de leur chanteuse en est presque touchante. C’est cette superbe cohésion à travers l’altérité des âges et sexes qui permet à ce que toutes ses références diverses soient magnifiquement digérées et compactées, faites leur, sous un coulis bleuté rien qu’à eux. Mettant un pied dans un rock ambiance cold wave, un second dans l’électro et un troisième on ne sait pas où, le trip hop peut-être – c’est énervant pour nous, mais c’est plutôt bon signe pour eux ! – le groupe refuse la barrière des genres.

L’album est en soi un petit bijou d’équilibre. Dix morceaux – dont au moins neuf excellents – imposant leur propre climat et, pourtant, cette sensation qu’ils prennent place dans un ensemble homogène, un énorme morceau en soi. Est ce qu’un bon album, ce ne serait pas, au fond, celui d’un groupe avec qui on aimerait partager une tournée de bières après écoute? Oui : on va tâcher de faire rentrer cet élément dans la notation.

Tracklist
01. Nothing New
02. Crystal in My Mind
03. Everynight
04. Moody Moon
05. Make You Move
06. Trouble
07. Right or Wrong
08. Game Boys
09. Not Alone
10. Shadam
Écouter Camp Claude - Moody Moon

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