Pour celles et ceux qui ont vécu cette incroyable époque de l’âge d’or de l’indie pop que fut le tournant des années 80/90, il semble aujourd’hui presque impensable qu’une trace aussi vivace subsiste de toutes ces chansons à l’incroyable gracilité mais publiées de la façon la plus underground qui soit sur des 45 tours très bon marché aux pochettes photocopiées, attelages fragiles échangés sous le manteau ou par listes de distribution interposées contre un laborieux mandat international digne de la préhistoire des échanges bancaires. Après la réédition l’an passé d’une infime partie de la discographie de The Cat’s Miaow, pour la première fois en vinyl sur Songs ’94-’98, le label londonien World Of Echo s’attaque à présent à un autre des groupes de l’australien Bart Cummings, The Shapiros, avec la compilation Gone By Fall, The Collected Works Of The Shapiros qui reprend le titre et la pochette de leur second single sorti en 1996 sur le label new yorkais Pop Factory à l’existence aussi courte que passionnante. Autant dire que cette fois, le label ne s’est pas vraiment pris la tête pour la sélection des titres regroupés toujours pour la première fois sur un vinyl alors qu’une compilation CD des mêmes morceaux était déjà sortie en 2001 sur le propre label de Bart Cummings, Library records. Et pour cause: c’est que le groupe n’a enregistré en tout et pour tout que 12 titres.
Août 1994, déjà devenu figure tutélaire de l’internationale pop, Bart Cummings débarque à Washington D.C. pour passer quelques semaines chez sa penpal, son amie épistolaire Pam Berry, personnalité elle aussi incontournable de la scène de la capitale fédérale au sein notamment des mythiques Black Tambourine. L’occasion est trop belle pour ne pas enregistrer quelques chansons à l’aide de deux comparses eux aussi issus de cette scène prolifique et créative, R. Scott Kelly et Trish Roy. Le groupe éphémère compose et enregistre 9 titres originaux et 3 reprises qui balisent leur parcours : Cry For A Shadow de Beat Happening symbolise à elle seule la simplicité et l’efficacité malgré l’économie de moyen, Cut des 14 Iced Bears, un morceau de 1986 en forme d’allégeance à la scène britannique du même nom et l’intemporel Will You Still Love Me Tomorrow des Shirelles pour rappeler qu’en matière de pop songs, si l’amour prend souvent un goût amer, il n’en demeure pas moins au cœur des préoccupations. 12 titres concis et lumineux aux guitares étincelantes, à la rythmique souple et ronde et au chant chatoyant d’une Pam Berry excellant dans son registre de douceur détachée.
En ressuscitant ces douze titres enfouis dans quelques mémoires, World Of Echo agite comme souvent la petite madeleine dont l’odeur fumante ne manquera pas d’attirer toute une génération de peu ou prou cinquantenaires dont les 45 tours du groupe trainent quelque part au fond d’une boite à souvenirs. Si à travers The Shapiros c’est à une toute une génération de groupes tous plus intéressants les uns que les autres à laquelle il est rendu hommage, on peut aussi se demander si toute cette énergie, ce temps et cette matière première vinyle ne seraient finalement pas plus efficace au service de jeunes talents poursuivant cette œuvre entamée il y a 30 ans. Chacun fait bien ce qu’il veut mais une madeleine, c’est généralement avalé en deux ou trois bouchées.