Benjamin Biolay / Grand Prix [Polydor]

7.2 Note de l'auteur
7.2

Benjamin Biolay - Grand PrixLe chanteur tête à claques préféré des critiques français est de retour. Après une série d’albums inégaux, voire ratés, Benjamin Biolay retrouve du mordant et surtout un profil conquérant qui lui permet de renouer avec un son plus rock et offensif, plus en phase avec son parcours de winner. L’homme a beau être une curiosité de l’histoire, un autre de ces chanteurs français sans voix et à la nonchalance insolente, Biolay nous a toujours paru plus percutant et intéressant quand il se montrait combatif et ne s’enlisait pas dans une posture sentimentaliste et des tempos ralentis.

Grand Prix, album simili concept assemblé autour d’une idée de course automobile, filée sur quelques morceaux ici, comme l’excellent Comme une Voiture Volée, est un album musclé et dansant, fringant et à la tête haute. Entouré par des musiciens compétents et qui viennent ajouter du peps rétrofuturiste (des synthés, encore des synthés) à ses compositions, Biolay place sa voix hors du commun, éteinte mais ultra expressive, dans un écrin qui lui sied à merveille et qui navigue entre pop synthétique (l’imparable Comment est ta peine ?), variété mineure (le médiocre Visage Pâle) et rock indé à guitares (le fédérateur Idéogrammes). Biolay est à l’aise ici et prend du plaisir à chanter ses états d’âme en soulignant ses attitudes de vocalises (Idéogrammes), de shalalas et de modulations qui avaient manqué à ses précédentes tentatives parlées/chantées.

Grand Prix, fidèle au thème qu’il développe, est un album qui va droit au but et ne feint pas d’être plus sophistiqué et compliqué qu’il n’est. Les chansons parlent d’amour parce qu’il n’y a guère que ça dans la pop de Biolay : lui et les femmes, les femmes et lui, leurs rencontres et surtout leurs séparations. Biolay n’est jamais meilleur que lorsqu’il regarde dans le rétroviseur en mille morceaux la silhouette de celle qui vient de l’abandonner. C’est cette situation qui le sauve et qu’il répète à l’infini : une fois quitté, parfois à l’initiative du désastre, le chanteur s’y roule avec une délectation quasi morbide qui ressemble, avec ses ambiguïtés, à ces magnums de champagne qu’on fait péter à l’arrivée des grands prix, et qui inondent les participants de larmes de joie, de nostalgie et de sperme éthylique. La peine de Biolay est sans fin, lourde à porter et écrasante, elle est jouissive et immersive, elle est désastreuse et atrocement répétitive, masturbatoire mais aussi généreuse et mégalomane (« ceci est mon corps »).

Les chansons de Grand Prix sont aussi redondantes que des tours de piste enchaînés à toute berzingue. Un tour en se faisant chier à mourir et sans y penser : cela donne l’emmerdant Vendredi 12. Un tour où l’on regarde par la fenêtre : l’exotique et aérien Grand Prix. Un tour avec un beau disque dans l’autoradio et Biolay livre un Papillon Noir vénéneux et magnifique, idiot et parfait pour chantonner entre deux dépassements. « Le papillon noir, le symbole de notre histoire. Je vois s’envoler l’espoir.» La rime est chiche mais on y est : au cœur de la pop, au cœur des mots écrits en un éclair et qui donnent envie d’être répétés et entonnés ad lib. Biolay taquine à plusieurs reprises la perfection pop, ce genre de titres qu’on a un peu honte de trouver bien mais qui vous rachètent la soirée et justifient qu’on écoute encore de la musique. La mélodie de Comme une voiture volée fait penser à la chanson les Jets Setteurs, une scie roumaine taillée sur mesure pour Massimo Gargia, le playboy ultime. Et alors ? Biolay se permet à peu près tout. Il est beau et vieux à la fois. Il chante comme Jarvis Cocker, conduit la nuit et sans les mains. Il réconcilie Bashung et Dylan sur l’épique La Route en relisant les beats pour les nuls, avec son bréviaire farceur. Biolay évolue dans une ligue qui lui est propre et où tous les concurrents ont fini dans le fossé. Il agace et fascine. Virtual Safety Car est un interlude de premier plan, classe et psychédélique. Le bonhomme a bon goût.

Le dernier tiers du disque nous propulse quelque part au milieu des années 70. Si Grand Prix se maintenait jusqu’à présent dans la modernité, il bascule définitivement dans un trip nostalgique et vintage. Souviens-toi l’été dernier est bluffant et Où est passée la tendresse un plaisir complètement régressif, anachronique. Biolay chante en pilotage automatique et laisse les arrangements faire le boulot. On l’imagine en train de cloper, les cheveux au vent et avec un Martini Olive dans sa troisième main. La fin de l’album est moins tenue et moins incisive que le début. L’album s’enlise dans une forme de mirage, totalement enivré par son univers et la collision des images qu’il a convoquées. La roue tourne est ample mais brasse du vent. Biolay peine à relancer dans les virages, comme s’il était entièrement absorbé par son fantasme. Interlagos (Saudade) est appliqué mais complaisant. C’était mieux avant. Grand Prix donne envie de revoir Le Mans et Bullitt à la suite. On aurait aimé avoir envie de Jours de Tonnerre aussi mais il n’y a plus rien dans le moteur, plus rien sous la pédale.

Grand Prix est un disque bizarre, réussi et raté à demi, brillant et plein de panache tubesque sur ses meilleurs morceaux, un peu moins convaincant et mollasse quand il se prend à son propre jeu. Biolay s’y amuse et y trompe l’ennui par intermittence, livrant quelques chansons majeures avec une facilité et une spontanéité qui continuent d’épater. Grand Prix est une belle tentative. Il vaut mieux finir dans le décor que monter sur le podium. Il vaut mieux passer en tête à mi-course qu’à l’arrivée. Les stands sont pleins de filles et de défaites. Plein de coups et de gloire pour demain. Biolay sera toujours plus beau, plus cool et plus à gauche qu’Alain Prost.

Tracklist
01. Comment est ta peine ?
02. Visage Pâle
03. Idéogrammes
04. Comme une voiture volée
05. Vendredi 12
06. Grand Prix
07. Papillon Noir
08. Ma Route
09. Virtual Safety Car
10. Où est passée la tendresse ?
11. La roue tourne
12. Souviens-toi l’été dernier
13. Interlagos (saudade)
Écouter Benjamin Biolay / Grand Prix

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