On y a cru l’espace d’un instant. La magnifique vidéo de Neverland pouvait clairement laisser croire que Fers, sorti de nulle part ou presque, était la version asiatique et contemporaine de ce que furent les All Saints ou même Bananarama pour les plus vieux il y a quelques années, soit une sacrée machine à fantasmes. Las, malgré l’expérience, le playback joue encore des tours à n’en plus finir et les quatre jeunes femmes asiatiques qui évoluent dans une ambiance très Virgin Suicide au cœur d’un paysage aride qui n’a d’égal que leur beauté sont mannequins avant d’être, ou pas du tout d’ailleurs, musiciennes. Avec Fers, le label brestois Too Good To Be True continue son inlassable exploration de l’internationale pop. C’est à Singapour, l’impressionnante cité-île-état coincée tout au bout de l’isthme thaïlando-malaisien qu’il a été dégotter ce quatuor composé de jeunes gens jouant ensemble depuis le lycée, rejoints par la chanteuse et guitariste Ferry, à l’origine du nom du groupe. Shallow, premier ep 5 titres auto-publié via Bandcamp l’an passé voudrait devenir aujourd’hui par l’adjonction de 2 titres supplémentaires un mini album à l’occasion de sa sortie physique dans une livrée luxuriante comme l’un des nombreux parcs qui agrémentent le petit territoire pourtant le second le plus densément peuplé au monde, mais aussi comme à l’habitude du label, magnifiquement soignée.
C’est qu’il fallait bien un artwork de qualité pour s’accommoder de la musique absolument lumineuse que délivre Fers. Il n’y aura certes pas bien loin à aller chercher pour trouver les principales influences d’un groupe bercé aux atmosphères anglaises de Slowdive (sur le retour plus que des origines) et de la bonne vieille classe indémodable d’un Prefab Sprout tendance When Love Breaks Down, mais ici, malgré l’économie de moyens de la formule la plus classique qu’il soit (voix, guitares, basse, batterie et un soupçon de claviers), règne une atmosphère tropicale, chaude et humide. Des titres du ep original, enlevés de haute volées aux deux morceaux les plus récents, bien plus paisibles et doux, Shallow s’avère être un petit bijou de dream pop un peu groovy, vaguement noisy mais surtout terriblement attachant. Loin de toute rébellion, il y a tant dans l’attitude que dans les réalisations de Fers une certaine ambition de propreté et de recherche de la perfection. Ces jeunes gens bien sous tous rapport font une musique qui leur ressemble et ça n’est clairement pas ici qu’il faudra venir chercher des aspérités.
L’atmosphère qui enveloppe ces sept titres est alors entièrement tournée vers la recherche d’une certaine idée du bonheur musical, de la formule la plus efficace possible pour garantir un plaisir et un confort d’écoute qui soient optimaux. Dès l’introduction de Wait, le morceau d’ouverture, on est emporté par un tourbillon de guitares qui n’ont jamais été aussi cristallines et chatoyantes et lorsque que surgit la voix de Ferry, d’abord en douces vocalises puis dans un chant qui fera fondre le moindre cœur d’artichaud, on est saisi par cette ambiance chaleureuse et accueillante qui invite à se sentir comme à la maison. Aucune crainte donc, les hôtes seront absolument charmants jusqu’au départ. A la manière des canadiens de Stars, Fers livre une musique complétement accessible mais qui ne verse jamais dans la facilité. Chaque morceau est finement ciselé, regorgeant de subtiles transitions et variations qui brisent la linéarité facile et trahissent des influences diverses allant jusqu’au post-rock comme sur Mermaids, parfait dans sa construction recherchée ou Shallow et sa jolie explosion noisy un peu convenue mais plutôt sobre et parfaitement exécutée. Si Drift est sans aucun doute le titre qui doit le plus à la bande de Rachel Goswell et Neil Halstead, il compense cette inspiration un peu trop marquée tant dans la construction mélodique que dans l’instrumentation par une exécution au cordeau et surtout un groove incroyable que l’on retrouve donc sur Neverland, le fameux morceaux… Fameux car au-delà de sa vidéo sensuelle, le morceau est une petite merveille de dream pop toute en rondeur avec ses voix démultipliées comme des sirènes transportées du détroit de Messine à celui de Malacca et son ambiance qui oscille entre un funk sagement groovy et des codes indés plus marqués.
Cependant, assez curieusement, alors que les cinq premiers titres sont particulièrement relevés, les deux derniers nous plongent dans la torpeur équatoriale des fins de journées prématurées. La transition est brutale tant Waves et Forever Young contrastent sérieusement avec leurs prédécesseurs et souffrent un peu de la comparaison. Ainsi, en guise d’un mini album cohérent du début à la fin, Shallow est finalement bien un gros EP avec deux bonus tracks qui manquent un peu de liant. Le premier s’étire mollement comme les vagues sur les plages artificielles de Sentosa, l’île des loisirs. Lentement, sans véritable variation, il ne parvient jamais à s’extraire de sa propre léthargie, peinant à faire ce que Sugarplant réussissait si bien dans les années 90, à savoir rendre Galaxie 500 plus lumineux que sombrement velvetien. Quant à la reprise du classique parmi les classiques d’Alphaville, si elle est exécutée avec plus d’envie et pas mal d’idées, elle se montre forcément, à l’image du groupe, très ou trop respectueuse. Il est toujours difficile de s’attaquer à un monument pop et Fers s’en sort avec grâce ainsi que les honneurs mais sans jamais parvenir à approcher la puissance émotionnelle de l’original.
N’en reste pas moins que Fers propose avec Shallow un premier acte largement réussi exprimant un talent indéniable qui ne demande qu’à continuer à s’exprimer pour notre plus grand bonheur. Comète étincelante ou groupe plus durablement installé dans le paysage musical ? Difficile de savoir si comme tant d’autres Fers résistera au passage à l’âge adulte, aux costumes de traders ou de banquiers et aux contraintes qu’une vie de bohème de permet pas d’assumer. Resteront quoiqu’il en soit quelques morceaux formidables gravés pour une postérité peut être confidentielle, mais postérité quand même.