Françoiz Breut incarne pour nous la grande sœur idéale, celle qui susurre des mots aussi inquiétants que cajoleurs, qui berce et endort sans ne jamais négliger la présence d’une possible entité malveillante. Car chez elle, la douceur de la voix comme des tournures lexicales permettent d’exposer la violence en creux, de la suggérer plutôt que l’affirmer. Il s’agit d’une forme d’humilité et de foi profonde en l’évocation ou la reproduction imagée. Une qualité à nouveau présente dans ce sixième album, dès son intitulé : Zoo – comme la promesse de chansons utilisant le champ lexical animalier pour mieux dépeindre (peindre ?) diverses émotions liées au contemporain ; sans bien évidemment en passer par une quelconque forme contestataire.
Le territoire de Françoiz Breut se présente tel un Paradis Perdu (guère un hasard si, sur Zoo, un titre revient sur la fissure Adam & Eve) : le soleil, la nuit, le vent, la végétation, tout semble parfaitement à sa place naturelle ; mais quelque chose manque, le tableau tangue. Ce monde-ci, le nôtre, a perdu une fondamentale beauté : l’amour. Dans Zoo, Françoiz, tour à tour observatrice et prédatrice, parle d’éloignement, d’absence à soi-même, d’un Eden ailleurs. Sans colère ni amertume. Au contraire : jamais le chant de la belle ne fut aussi suave, érotisé, protecteur. Zoo n’est pas un constat alarmiste, plutôt une tendre caresse offerte aux blessés de la vie.
Musicalement, via l’ample production d’Adrian Utley (Portishead), Françoiz Breut dispose d’un paysage sans doute plus aéré qu’à l’accoutumée. Elle s’immisce dans des textures gainsbourgiennes, trouve l’espace nécessaire pour le chuchotement, le langoureux comme l’envolée soudaine ; elle peut dorénavant tout se permettre, passant du français à l’anglais, de l’anglais à l’allemand, selon l’inspiration du cœur. Il faut peut-être remonter à La Question (d’une autre Françoise, Hardy) pour sentir frémir la douceur d’un petit monde paisible jusqu’à l’étrange, d’une brise légère contrecarrant l’orage dévastateur.
Elfe malicieux, tendre gothique à l’humanisme burtonien, Françoiz Breut écrit comme elle dessine : avec une troublante et fausse naïveté qui oblige l’auditeur à s’interroger sur l’apparente surface de ses chansons nimbées d’un velours en trompe-l’œil. Zoo ressemble effectivement à une aquarelle révélant une jolie falaise en bordure de mer ; mais par-dessus la ligne enfantine, le créateur y adjoint, dans les recoins, des ombres inquiétantes, le regard rouge sang du loup s’apprêtant à dévorer la brebis.