Cette saloperie de virus n’aura pas notre peau. C’est le crédo de Christophe et Reno, patrons du disquaire Bad Seeds à Brest et du label Music From The Masses, déjà responsable d’une belle poignée de LPs dont le premier véritable album du prodige Lesneu, sorti juste avant la tempête, la poisse. Alors pour tenter de survivre, pour trouver quelques liquidités qui permettront de tenir dans l’attente d’un déconfinement qui semble avancer avec nous, le duo offre tous les vendredis un single digital à prix libre donnant à celles et ceux qui le peuvent l’occasion de soutenir cette double aventure et de l’empêcher de finir comme un vulgaire mouchoir en papier coroné jeté à la corbeille. Après deux inédits du rennais Tropique Noir et deux extraits de la prochaine sortie programmée par le label, un album live du Dale Cooper Quartet, c’est dans les fonds de tiroir que le label a été piocher sa sortie du 9 avril.
HF90, un nom qui parlera aux spécialistes. Bien sûr, cette cassette vierge Sony sur laquelle rentrait pile un album par face à l’époque où internet n’existait même pas et où l’on faisait tourner les disques de l’un à l’autre, juste le temps de le copier, de noter les titres et de dessiner une reproduction approximative de la pochette. Mais HF90, c’est aussi un duo composé de Christophe Mevel (un pedigree brestois long comme le bras, dont son projet Tank) et Cyril Pansal (moitié de Maman Küsters) et dont le nom parlera sans doute aux fans de Daho. Auteurs d’une confidentielle relecture exhaustive du classique Mythomane (2010), remise en main propre au maître, ils seront recontactés par Daho en personne quelques semaines plus tard pour réenregistrer avec lui Il ne dira pas et Ton Cinoche figurant sur le single sorti sur Pop In Records et sur la réédition 2011 du premier album du rennais. Joli coup.
A peu près au même moment sortait sur Sel Limited, dernière incarnation du label Diesel Combustible Recordings Gris la Couleur, magnifique ep sombre et froid comme un brouillard londonien, essentiellement œuvre de Cyril Pansal puis circulait sous le manteau numérique une démo 5 titres cette fois véritablement enregistrée en duo et dont est extrait ce single printanier. A la voix chaude et posée de Cyril Pansal servant des textes langoureux aux influences à peine masquées (de Daho à Gainsbourg) se lie alors la pop nonchalante et lumineuse de Christophe Mevel, multi-instrumentiste talentueux. L’enregistrement dans le grenier du Supachicken studio ne souffre d’aucun excès de production et conserve tout le charme de ces sessions sixties où l’on repartait avec son single sous le bras après 2 heures de studio payées monnaie sonnante et trébuchante.
Avec HF90, c’est la dolce vita assurée, quand la côte finistérienne sous un soleil éclatant se donne des airs méditerranéens. C’est la cassette que l’on glisse dans l’autoradio de cette vieille Alfa qui nous emmène en weekend à Rome, ou du moins à Morgat. Il n’est ici question que de chansons d’amour sur fond de musique pop, dans son plus simple appareil, sans fioriture, celui qui fait de Sous les récifs un véritable tube intemporel complétement addictif et de Si par un Hasard une ballade mid-tempo main dans la main. Alors évidemment, le pas qui consisterait à remercier Covid pour ses bienfaits collatéraux n’est pas près d’être franchi, mais si dans notre malheur collectif, il est l’occasion d’exhumer ainsi des titres qui, faute de moyens ou de techniques adéquats à l’époque, n’avaient jamais vu le jour et viennent aujourd’hui ensoleiller nos mornes journées confinées, on ne va pas bouder notre plaisir.