C’est une drôle de sensation. Celle de se retrouver projeté des années en arrière dans un grand bain de coton, une faille spatio-temporelle si tendre, si pleine de bonnes vibrations que l’on en viendrait presque à regretter le temps présent. On sait que ça n’est pas très bien, qu’il faut aller de l’avant et que la nostalgie est à prendre avec des pincettes mais la chair est faible et se laisse facilement aller. C’est exactement ce qu’il se passe à l’écoute de This Quiet Fire, le premier album en 10 ans d’Heligoland, duo australien installé en région parisienne. On ne va pas se mentir, même si les choses sont plus complexes, cette sensation dès les premiers instants d’entrer dans un gîte chaleureux dont on a l’impression de connaitre les hôtes depuis longtemps alors qu’on les rencontre pour la première fois tient en grande partie à la présence à la production d’un certain Robin Guthrie. Membre historique des Cocteau Twins s’il est encore nécessaire de le présenter, il est à présent installé en France près de Rennes où il possède un studio dans lequel il a produit les deux derniers albums des australiens. Une production à la fois soignée et luxuriante, marquée d’un sceau bien connu, même si Robin Guthrie a quand même perdu avec le temps cette mauvaise habitude de vouloir faire sonner à tout prix les productions sur lesquelles il intervenait comme si c’était les siennes. Habitude l’ayant conduit à quelques crashes mémorables dans les années 1990, autour du son de Lush par exemple.
Mais Heligoland n’est pas le Lush débutant emporté par le tourbillon du succès. Le groupe, à présent essentiellement centré autour du duo composé par Karen Vogt et Steve Wheeler existe depuis près de 20 ans et mène sa barque à son rythme, comme il l’entend, à travers notamment une série de EP publiés tout au long des années 2010 dans lesquels, bien que toujours accompagné de Robin Guthrie, il n’a pas hésité à sortir quelque peu de sa zone de confort. Bien sûr, il subsiste toujours une patte reconnaissable entre mille, d’autant que Karen Vogt n’y met parfois pas du sien en nous rappelant au bon souvenir de Liz Frazer. Mais ne retenir que cela serait un outrage envers cette voix, magnifique, qui possède bien d’autres atouts que de n’être qu’une copie, même talentueuse. Les dix morceaux qui composent This Quiet Fire sont très clairement des écrins conçus pour qu’elle s’exprime de la plus belle des manières, dans toute sa grâce, délivrant une puissance émotionnelle réellement envoutante renvoyant d’ailleurs plus au registre d’une Tracey Thorn. Dès Mallory en introduction, elle exprime une large palette où la technique ne prend jamais le pas sur les intentions, tour à tour aérienne puis chevrotante, susurrante puis s’envolant dans une dimension lyrique insoupçonnée.
Le musique d’Heligoland s’avère chansons après chansons puissamment évocatrice, portée par ce feu calme qui évoque forcément plus une atmosphère chaleureusement domestique. Les bienfaits sont immédiats, apaisants, relaxants, portant l’esprit dans une divagation jubilatoire lorsque plus rien n’a vraiment d’importance. Comme il se doit, les claviers forment des nappes accueillantes sur lesquels se déploient basses rondes et guitares cristallines et aériennes. La musique est ample et se développe dans un univers éthéré, sagement noisy. On pense aux Cocteau Twins bien évidemment, tant on imagine combien Blue Bell Knoll ou Leaving Las Vegas ont pu influencer le duo. On pense aussi aux plus confidentiels Gregor Samsa, auteurs au tournant des années 2000 d’une poignée d’albums essentiels au genre. L’album est très homogène, les compositions plutôt formatées et il manque un peu de points forts, le genre de morceau qui fait véritablement décoller un disque où la sagesse et une certaine maturité l’emportent sur ce petit grain de folie qui apporte toujours un supplément d’âme. Wish, en conclusion, un titre de construction hyper classique avec son crescendo tout en maitrise qui se déchire tel un orage estival, celui qui apporte eau et fraicheur tant attendus, est un bon exemple de ce que ce disque aurait pu être avec un brin d’audace supplémentaire.
A trop jouer la carte de la retenue, Heligoland propose avec This Quiet Fire un album bien sage, bien que pétri de talent et de qualités indéniables qui ravira les fans de cette pop lumineuse et atmosphérique à la recherche de valeurs sûres, de terrains bien balisés et d’un confort d’écoute certifié aux meilleures normes de production de 1988 à nos jours. Il constitue néanmoins une belle entrée en matière dans l’univers du duo australien, bien décidé à continuer l’aventure. Ça tombe bien, 2020 a montré avec le formidable album d’Epic45 dans un univers très proche, qu’un groupe pouvait parfois prendre un peu de temps avant, grâce à une inspiration exceptionnelle ou l’apport essentiel d’un nouveau membre, se transcender pour véritablement trouver sa voie. Heligoland en a largement le potentiel, c’est tout le bien qu’on leur souhaite.