Connu notamment pour ses reportages BD ayant pour sujet le conflit israélo-palestinien, Joe Sacco est aussi un amateur acharné de rock. La preuve : à la fin des années 80, alors qu’il est étudiant à l’université de l’Oregon (Portland), Sacco s’incruste dans les bagages d’un groupe grunge local les Miracle Workers et les accompagne avec son carnet de croquis tout au long de leur première tournée européenne. C’est cette aventure, cette odyssée osons le mot, que nous donne à voir, entre autres choses, ce But I Like It, que Futuropolis a réédité il y a quelques mois dans une forme impeccable et avec un certain nombre d ‘ajouts par rapport à la version précédente.
Joe Sacco a alors un peu plus de 20 ans. Né à Malte, il vit ses premières années en Australie avant de débarquer à Los Angeles en 1972, à l’âge de douze ans. Issu d’une famille bourgeoise, il cherche sa voie et s’inscrità la fac pour étudier le journalisme. C’est autour de cette époque que démarre le bouquin, Sacco, cheveux longs et lunettes d’intello, grimpant à l’arrière d’un van qui mène le groupe de ville en ville, entre groupies, drogue, fiestas d’anthologie et cette saveur incomparable des lendemains de concert entre amis. Avec son style brut et sa ligne crade, ses récits de tournée de Sacco prennent une drôle d’allure. Les membres du groupe sont moches, souvent mesquins et sont décrits avec une certaine méchanceté. Les obsessions du chanteur et de ses musiciens : la chatte, les fringues, la musique accessoirement, sont vues avec une distance ironique par le dessinateur observateur, même si celui-ci fait partie du convoi. Le trait de Sacco manque encore un peu de discipline ou (selon ce qu’on voudra voir) tente de rendre le chaos du groupe par des mises en place psychédéliques souvent laides ou difficilement lisibles. Sacco dessine dans l’esprit de l’époque, plus 70s que 80s d’ailleurs, un peu Crumb, un peu fanzine. Ce qui intéresse ici (plus que les péripéties du groupe), ce sont finalement les réglages qu’il effectue sur sa qualité d’observateur. Car Sacco ne s’épargne pas, se dessinant plus insignifiant qu’il n’est, et n’hésitant pas à se tourner en ridicule autour d’un épisode très drôle (et qui fait penser au Hate de Peter Bagge pour sa violence dans l’auto-dépréciation) où il essaie lui aussi de sauter des nanas. Les séquences « en tournée » sont plutôt drôles mais assez inférieures à ce qui suit.
Car le livre est constitué de 4 parties dont la tournée des Miracle workers n’est que la première. La deuxième reprend des dessins que Sacco a fait pour un magazine suisse. Et ceux-là sont hilarants. Vieilles gloires, drogue, entretien du matériel, vanité, le critique de rock, le producteur, etc : Sacco dessine une page (il doit y en avoir une bonne trentaine) pour illustrer des figures, des acteurs, des situations ou des « idées reçues » sur le rock. C’est drôle, caustique et bien observé, presque aussi réussi que ce que fera Luz, dans un esprit et avec un graphisme très similaires quelques années plus tard. La troisième partie reprend des pochettes d’albums conçues pour différents groupes de l’époque.
On retient des dessins pour les Flaming Lips et quelques autres essais outranciers pour des groupes de second rang mais pas que…. Les dessins de Sacco sont punk, dérangeants mais globalement moyens, signe d’un jeune artiste qui se cherche et s’inspire d’éléments graphiques qu’il observe ou récupère. La dernière partie du recueil est consacrée à une série sur les Rolling Stones (vieux) qui n’est pas loin d’être le meilleur morceau de l’ouvrage. Sacco croque à la perfection Jagger et Richards et suit le quotidien burlesque et ridicule des mégas rock stars septuagénaires… C’est comique et irrévérencieux à souhait, Sacco ne se refusant aucune blague (même douteuse) liée à l’âge et aux manies du groupe. L’intérêt du recueil est également, pour ceux qui connaissent l’auteur pour Palestine, Gaza 1965 ou une Histoire de Bosnie, de présenter Sacco d’où il vient, c’est-à-dire l’esprit Do It Yourself, le punk bidouillé, le gonzo-reportage et la filiation cartoonesque à la Mad des années 70.
But I Like It dépoussière finalement plus Joe Sacco lui-même que la manière dont le rock est dessiné en BD. C’est une lecture, plutôt rapide, curieuse et parfaite pour les fans de ce genre de couverture BD. A l’exception des Stones, on n’y croisera pas de célébrités et de morceaux de bravoure, ce qui d’une certaine façon correspond tout à fait au regard d’un artiste qui a toujours préféré aborder ses sujets d’étude par la face discrète, la face humaine et la moins tape à l’œil.