Le demi du 6 et demi tient à la comptabilisation partielle d’un mini-album de Noël paru en 1989. Ce nouvel album est le successeur de Mandarine, l’album du retour pour JP Nataf et Jean-Christophe Urbain, sorti il y a quatre ans après une séparation de quinze ans. Mandarine était un album de chansons plus folk que pop. C’était un album assez complexe et dont la séduction n’était pas immédiate. Il s’agissait de remettre la machine en marche et de s’apprivoiser à nouveau. De l’eau a coulé sous les ponts : le duo a réappris à faire ce qu’il faisait hier. A cet égard, 6 ½ est à peu près tout le contraire de Mandarine, tout en étant sa prolongation naturelle : pop jusqu’au bout des orteils, amical et porté par quelques chansons uptempo, l’album inspire plus la tendresse qu’il n’appelle à la nostalgie ou à la tristesse.
L’album démarre fort avec Quand la nuit tombe, un titre qui rappelle l’allégresse pop de leurs belles années. Les Innocents afficheront tout du long une parenté souterraine avec les Kinks : même jeu de guitare sautillant, mi-électrique, mi-acoustique, même manière d’entonner le chant et de moduler avec souplesse et courbes franches. C’est du côté de la bande à Ray Davies qu’est leur plus intéressant point d’attraction : celui qui mêle l’évidence de mélodies classiques et une poésie du quotidien pas si anodine qu’elle en a l’air, témoignant d’une belle qualité d’écriture. Il y a, en effet, une légèreté dans cette musique qui masque ses enjeux. C’est à la fois léger et grisant, même si cette forme de pop a, par nature, et désormais un charme désuet qui fait qu’on ne la prend jamais au sérieux. Les Innocents abusent parfois de cette désinvolture de façade, comme sur Apache, qui agace avec sa morale de boyscout et ses appels à une libération fictive. On préfère la poésie pleine d’imagination des Iles d’Amnésie qui suit avec ses doowop et son envie de prendre la mer, ses souvenirs dont on fait commerce et cette distance au monde qu’elle instaure.
Le charme des Innocents repose tout du long sur cette position d’observateurs amusés d’une époque qui les a dépassés par sa vitesse et son inconséquence. Sur Opale, les deux hommes ouvrent comme une bulle temporelle en forme de retour aux sources et d’échappatoire. « J’ouvrirai mes lèvres à l’échappée belle. Enjamber la fin d’un monde. M’en aller à ma rencontre. Oui, je reviendrai sur la côte d’Opale….. ». Il y a une sérénité résignée et une poésie qui s’échappent de ce sentiment d’être mis de côté qui irrigue le disque. On peine à communier avec cette langueur nostalgique lorsque la musique et le chant sont aussi paresseux que sur les Cascades, mais cela fonctionne bien le plus souvent. De quoi suis-je mort ? est une chanson astucieuse et qui fait mouche. Slow1, un slow minimaliste qui parle à nouveau de la capacité de la musique à ralentir le flot des soucis et des tourments du temps. Le morceau parle d’un couple absorbé par une série de slows et qui, là encore, est comme téléporté dans un autre monde, le sien. L’homme moderne est fragilisé et à la limite de la déroute. Les Innocents expriment cette détresse de manière tendre et avec le sourire aux lèvres sur le joli Mon Homme, exposé vibrant sur l’effondrement de l’homme occidental. Ils referment la boutique sur un Aime-moi au ralenti plein de doutes et d’hésitation.
Loin d’afficher la forme conquérante d’il y a quelques décennies, les Innocents peignent un tableau fatigué mais pertinent et sincère des temps modernes. 6 ½ manque de quelques titres forts pour dépasser le stade de l’album charmant et qu’on écoute avec plaisir. Il s’en dégage tout de même une sorte de connivence générationnelle et un sentiment d’intelligence pop au-delà de la moyenne. Les héros sont fatigués. Ils tiennent sur leur poésie et leur envie de prendre la poudre d’escampette. Cela peut suffire à lever d’intenses bouffées nostalgiques mais par forcément à repartir de l’avant ou à emballer les cœurs.
02. Apache
03. Les Iles d’amnésie
04. Opale
05. Les cascades
06. De quoi suis-je mort ?
07. Slow 1
08. Au bord de l’Etna
09. Mon homme
10. Aime-moi