Macclesfield n’est pas la ville sombre et froide que l’on pourrait imaginer. La ville où est né et mort Ian Curtis est au contraire une jolie ville presque cossue. Ce jour là elle est baignée d’une belle lumière de printemps, lumière qui irradie le cimetière où repose Ian Curtis. Dans la ville, même si certains l’ont oublié, sa mémoire reste vivace.
Le train qui amène de Manchester à Macclesfield traverse des paysages bucoliques, campagne anglaise où paissent les moutons. Une image paisible et simple loin de la musique sombre et torturé de Joy Division.
A Macclesfield, ex petite ville ouvrière située à vingt kilomètres de Manchester, on se trouve plongé de suite dans la mémoire de Ian Curtis qui s’est suicidé ici même il y a de cela trente cinq ans. Dans le tunnel en sortant de la gare, une grande photo « Unknown Pleasures » Joy Division 1979 montre que la ville continue de célébrer et de vouer un culte au groupe. Cette image à côté d’autres images montrent ce que la ville à offrir au visiteur : la fête annuelle de la ville, son passé ouvrier et bien sûr Joy Division.
On remonte à travers la ville baignée de lumière ce jour là et l’on demande la direction du cimetière à un jeune qui dit y être allé et vous l’indique.
On traverse le centre de Macclesfield, jolie bourgade avec ses vieilles échoppes. La ville est à la fois calme, sagement provinciale, et animée. Tout le monde a l’air de se connaître ici comme dans toute petite ville de province qui se respecte.
Au sortir de la ville, on se retrouve quasiment à la campagne. C’est là qu’ apparaît le cimetière. Il jouxte un parc où jouent des enfants qui n’ont sans doute jamais entendu parler de Ian Curtis. Le cimetière lui ne l’a pas oublié. A l’entrée de celui-ci un petit panneau bucolique indique sa tombe où est écrit « Loving Memory à Ian Curtis » .
Pour se rendre à sa tombe, il faut jouxter le jardin de la mémoire. Joli jardin fleuri où reposent les êtres qui ont choisi la crémation.
Dans cet immense et superbe cimetière impossible de trouver la tombe de Ian Curtis. Comme s’il fallait préserver le mystère.
Je refais toute la parcelle où il devrait être mais aucune trace de lui. Des tombes gothiques pourraient faire penser que c’est la sienne mais il n’en est rien.
Difficile de demander à qui que ce soit. Le cimetière est absolument vide. Je suis seul ici à la recherche de Ian Curtis.
Je me dirige vers la chapelle pensant qu’à cet endroit j’aurais peut être une chance de trouver quelque âme qui vive. Y déjeune une jeune fille qui n’était sans doute pas née lorsque Ian Curtis s’est donné la mort. Je lui demande si elle sait où il est enterré. Elle m’indique sa tombe, me dit que celle-ci est toute petite et que si je ne la trouve pas, je revienne pour la lui redemander.
Je lui demande si elle est de Macclesfield. Elle me dit oui. Je l’interroge sur Ian Curtis, lui dit qu’il est mort alors qu’elle n’était sans doute pas née. Elle me le confirme, me dit que la mémoire de Ian Curtis est vivace dans la ville, que les gens se souviennent de lui, que peut être à un moment il avait été un peu oublié dans sa ville même mais que la sortie de « Control » de Anton Corbjin en 2006 a ravivé sa mémoire auprès des habitants de la ville et surtout des plus jeunes, ceux qui n’avaient pu le côtoyer.
Je recherche de nouveau la tombe. Toujours impossible de la trouver. Je vais retrouver la jeune femme. Elle a disparu.
Je demande aux jardiniers du cimetière. Ils m’indiquent la tombe. L’un d’eux m’y emmène. Je lui demande si le souvenir de Ian Curtis est présent à Macclesfield.
Il me dit oui, que sa crémation a lieu ici sans que je sache s’il m’indique qu’il y a assisté. Je lui demande si les visites sur sa tombe sont nombreuses. Il me dit que des gens du monde entier viennent lui rendre hommage, des américains, des japonais, des australiens. Qu’ils sont des milliers à venir ici chaque année.
La tombe est minuscule à l’opposé de celle que l’on pourrait imaginer pour une rock-star. Elle est à l’image de ce que devait être Ian Curtis dans la vie, humble.
Les fans ont respecté cette humilité. Seuls quelques fleurs, quelques poèmes, quelques pièces ornent la tombe. Sur celle-ci est simplement inscrit Ian Curtis 18 Mai 1980.
Je reste là, seul dans cet immense cimetière de longues minutes. Sentiment de plénitude absolue au milieu du gazouillis des oiseaux. Le silence est total, la lumière spendide. Sentiment d’infini.
Je quitte le cimetière et me redirige vers le centre ville. Je vais au pub pour savoir si les gens ont gardé la mémoire de Ian Curtis mais celui-ci est vide. Personne hormis la serveuse et moi. Celle-ci me dit ne pas le connaître sans que je sache si elle ne le connaît vraiment pas ou ne veut rien me dire.
Je me dis que j’en saurai plus au disquaire de la ville. Des hommes d’une cinquante d’années parlent avec le disquaire des disques des Beach Boys qu’ils recherchent. Je me dis que l’on est loin de Joy Division.
Ses hommes partis, le disquaire me demande si je cherche quelque chose en particulier. Je l’interroge sur le souvenir de Ian Curtis dans la ville.
Il me dit que celui-ci est omniprésent. Le matin même il a mis en vente Unknown Pleasures. Le disque est parti deux heures après, acheté par un étudiant de 18 ans. Il m’explique que les anciens dans la ville se souviennent de Ian Curtis, que les plus jeunes le découvrent ou redécouvrent. Il me dit que la présence de Ian Curtis imprègne cette ville. Il me parle du concert de Peter Hook, légendaire bassiste de Joy Division et New Order le 18 mai prochain en l’église de Macclesfield, hommage à Ian Curtis pour le trente cinquième anniversaire de sa mort. Hook et son groupe The Light joueront l’intégrale du répertoire de Joy Division. Ni Neil ni ses amis proches ni une grande partie de la population de Macclesfield n’ont réussi à avoir de places, toutes parties en l’espace de quelques minutes.
Neil me parle du groupe dans lequel il a joué (Puressence) qui a sorti trois albums, de ses amis des Chameleons qui habitent une ville à côté. Il me parle de toutes les vagues des groupes de Manchester et que ces vagues successives n’ont jamais effacé la mémoire de Ian Curtis, particulièrement ici à Macclesfield.
Je lui dis que tout le monde n’est pas obsédé par Joy Division dans cette ville, des hommes qui cherchaient des disques des Beach Boys chez lui plus tôt.
Il me dit avoir des clients qui collectionnent tout des 45 EP des Rolling Stones, d’autres tout des Kinks, que la ville de Macclesfield n’est pas que peuplé de fans de Joy Division même si tout le monde se souvient du groupe.
Il me dit avoir ouvert ce magasin de disques il y a quelques semaines. La ville n’en comptait aucun auparavant. Je pensais le culte de Joy Division si fort ici que l’on pouvait y acheter leurs disques mais il n’en était rien jusqu’à l’ouverture de Vinyl Solution.
Je lui demande en partant où se trouve la maison de Ian Curtis. Il me dit ne pas savoir, n’être pas de Macclesfield.
Je demande alors à des gens dans les rues de la ville. Ils me regardent étrangement comme si je cherchais un lieu hanté. Un homme me regarde par derrière après ma question. Je m’interroge sur ce qu’il peut bien penser.
J’arrive à cette maison, là même où il y a 35 ans Ian Curtis se pendait. Elle se situe à l’autre bout de la ville, sur une colline. La maison est en vente et le numéro de la rue a été enlevé. On trouve le 75 Barton Street, le 79 mais pas le 77. Je me demande si il a été enlevé pour empêcher le lieu de devenir lieu de pèlerinage ou pour conserver encore un peu plus le mystère.
J’aimerais demander aux voisins s’ils ont le souvenir de leur illustre voisin mais ne trouve personne aux alentours. Macclesfield ressemble à une ville fantôme qui préserverait la mémoire du chanteur, préserverait ses non dit.
On peut voir à travers les volets l’intérieur de la maison. Un intérieur on ne peut plus simple d’une maison de la classe ouvrière, celui-là même que l’on voyait dans Control.
Je redescends la rue en direction de la gare, me demandant pourquoi il est assez difficile à part auprès de Neil de savoir ce qu’il en est de la mémoire de Ian Curtis ici. Soit les gens l’ont oublié, soit ils ne veulent pas en parler, soit ils ne l’évoquent qu’à demi-mots.
On dirait que Macclesfield garde la mémoire de Ian Curtis comme un bien précieux, que l’on veut préserver à l’intérieur même de la ville mais en la protégeant des incursions extérieures.
A Macclesfield Ian Curtis peut rester en paix.
« From Here To Eternity » .