De l’importance de la musique comme moyen d’affranchissement et d’affirmation de soit.
Les temps ont certes changé et seuls les quinquas qui ont omis de suivre la révolution de la planète indie pop associent encore l’Afrique du Sud avec Johnny Clegg & Savuka ou au single porte-étendard Mandela Day (Simple Minds, 1989). Depuis, l’hégémonie de Johannesburg s’est étiolée : le cœur de l’Afrique du Sud bat désormais au Cap, à Pretoria ou à Port-Elizabeth. C’est de cette ville de la côte dont est originaire Nakhane, nouvelle coqueluche aux effluves exotiques.
Il n’empêche. Que ce soit depuis l’extrémité d’un continent ou au cœur de la cité, ici ou ailleurs, il est toujours difficile de s’affranchir du cadre, de s’affirmer, de transgresser les codes de la société et de remettre en cause le poids de l’éducation. A fortiori quand on est pétri de croyance religieuse. Longtemps, Nakhane a essayé de refouler son homosexualité en s’adonnant à la prière. Jusqu’à la révolte, sourde, jusqu’à l’émancipation, salvatrice. Alors, enfin, il a laissé s’exprimer son androgynie, et assumé son aspect juvénile. Mi-Homme mi-ange, Nakhane Mahlakahlaka est parvenu à lâcher prise avec le monde qui l’a fait.
You Will Not Die est la voix de cette naissance, après un premier album (Brave Confusion – 2013) centré sur cette personnalité multiple. A l’instar de son compatriote Petite Noir, avec qui il partage énormément de points communs, Nakhane mélange gospel, soul, rythmes tribaux, dub-step et new-wave avec une maîtrise incroyablement moderne, débarrassée des contingences. Cette musique semble ne pouvoir venir d’ailleurs que de cette partie de l’Afrique complexe, multiple, noire et blanche, pieuse et rebelle, forte de son histoire et résolument tournée vers le futur. Jouant sur les contrastes, il s’amuse d’ailleurs à moduler son chant, entre les aigus qui frôlent l’aphonie et les notes très basses. En guise de succédanée, Nakhane livre deux perles : le single Interloper, dont les accidents rythmiques font l’effet de sauts dans le vide, et Presbyteria porté par la ferveur de chœurs d’église. On préférera aussi Star Red qui symbolise cette culture du métissage, entre traditions africaines, cloches et vocalises à la Marvin Gaye aux rares chansons un peu trop convenues (Teen Prayer qui ressemble à du David Bowie façon chant d’église). Ou encore la version dancefloor de Clairvoyant (uniquement inclus sur la version CD).
L’album est à la fois sombre, aussi dérangeant que dérangé (The Dead) et follement euphorique. On ne sait ici ce qui l’emporte entre la force de celui qui mesure la puissance de l’affranchissement, de celui qui a choisi d’être, et la rage qu’il est nécessaire pour clamer cette singularité. You Will Not Die est le manifeste de celui qui est et la promesse de ce qui sera. Belle découverte.
Nakhane – Presbyteria
Nakhane – Clairvoyant
02. Clairvoyant
03. Interloper
04. You Will Not Die
05. Presbyteria
06. The Dead
07. Star Red
08. Fog
09. By The Gullet
10. All Along
11. Teen Prayer
12. Clairvoyant (Radio Mix) (Bonus Track)