A bientôt 74 ans, le gallois John Cale est probablement aujourd’hui l’un des musiciens vivants qui ont le plus comptés pour l’histoire du rock et, parmi ceux-ci (Mc Cartney, Bowie, Dylan, Mick Jagger et quelques autres) le moins considéré et célèbre. Son CV a pourtant de quoi faire pâlir : outre son appartenance à The Velvet Underground qu’il a fondé avec Lou Reed et auquel il a énormément apporté, le type est aussi l’auteur de plusieurs albums solo mémorables, et d’une ribambelle de collaborations/productions/participations parmi lesquelles on croise Aaron Copland, The Stooges, Nick Drake, Nico, Patti Smith, Kevin Ayers et un bon millier d’autres.
A bientôt 74 ans, donc, John Cale n’en a pas fini avec la musique et l’expérimentation. Il fait paraitre le 22 janvier un double CD sur lequel on reviendra très vite et qui pourrait, en matière d’expérimentation et d’ambition, faire de l’ombre (on y songe pas vraiment mais pourquoi pas après tout ?) à l’Etoile Noire de David Bowie. John Cale a en effet choisi de réinterpréter son chef d’œuvre de 1982, Music for A New Society, et de le republier avec son compagnon contemporain baptisé M : FANS. A l’époque, le disque de Cale (son huitième si nos comptes sont bons) est perçu comme radical et intransigeant. Désaccordé, décharné, extrême, Music for A New Society explore une vision radicale de la musique qui renvoie à la dureté sociale des années 80 : la solitude envahit l’espace public et métaphysique enterrant à jamais les rêves communautaristes des années 60 et 70. Le disque de John Cale est désespérant et désespéré, sec et brutal, tranchant et plein d’aspérités. Magnifiquement chanté, Music For A New Society est un disque de crooner déjoué, un disque de chanteur torpillé par une composition bringuebalante, tantôt nudiste, tantôt qui déraille volontairement. C’est paradoxalement un disque qui n’est pas inaccessible au regard de ce que son auteur proposera par la suite car la voix est là qui rassure et ramène ce monde affreux vers les standards posés par Elvis et quelques autres. Rééditer ce disque et le prolonger est aujourd’hui cependant une gageure, tant les oreilles ont été domestiquées et semblent encore moins à même aujourd’hui qu’hier d’appréhender une telle ambition. Et pourtant, loin du marketing et de la stratégie qui soutient un Bowie, l’œuvre de Cale peut paraître légitime et sincère, folle et aventureuse. En guise d’amuse-gueule, on se délectera de cette première nouvelle version de Close Watch, hypnotique, fascinante et clin d’œil au Eyes Wide Shut de Kubrick, qui, bien qu’un peu longue, frappe par sa pertinence et sa précision. En crooner magnifique et séducteur contrarié, John Cale y incarne une version atrophiée d’un Roxy Music finissant, d’un Velvet qui aurait duré et aurait croisé en bout de course la perversion et la mort. On y reviendra d’ici quelques jours dans le détail mais ce disque fait d’ores-et-déjà parti des musts de ce début d’année pour ce qu’il a été (en 1982, pensez donc) mais pour ce qu’il devient en 2016.
Photographie : Craig Mc Dean
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