Ce disque est un fantasme indé ou disons un fantasme pour les fans masculins de musique indé…. une fille qui chante avec la voix de Stina Nordenstam, exprime des choses romantiques et tristes, semble évoluer dans un monde où le rêve (et les chats qui parlent) est omniprésent, et puis s’accompagne d’une musique électro-trip-hop millimétrée et belle comme du Massive Attack ou du Boards of Canada.
Le premier album de Sauvane sonne ainsi comme la réponse d’une IA dernier cri (?) à un cahier des charges pour post-ados solitaires en quête de réconfort. Et c’est une foutue réponse formidable, soyeuse, bien écrite et passionnante par ses textures musicales. Am I Happy ? chante la jeune femme sur… Am I Happy ? Bien sûr que oui, parce que bien sûr que non. Les chansons s’appuient sur une musique folk, douce et belle comme du Bridget Saint John, qu’une électro dentellière vient assombrir, enrichir et moderniser. L’univers graphique et les clips sont parfaits eux aussi, donnant à ce premier album un relief, une ambition et un intérêt qui dépassent sûrement la densité réelle du propos.
Sur Ready To Die, la musique crée un puits sans fond où la voix vient s’effondrer et tournoyer pour simuler sa propre disparition. Le producteur Les Gordon (aka Marc Mifune) veille au grain et fournit à la jeune femme ce qu’elle est venue chercher pour habiller ses angoisses et les expulser pour repartir du bon pied. Cats Can Talk fonctionne comme un exutoire tranquille de la peine d’être au monde. On ne sait pas trop (les textes sont allusifs), ce qui a causé ce trouble mais on l’imagine né à l’adolescence de se trouver un peu moche et stressée à l’idée d’être à la hauteur de ce que l’on attend d’elle. Y a-t-il d’autres traumatismes, d’autres accidents de la vie qui amènent la jeune femme à s’incarner dans cette « petite fille triste » perpétuelle qui parle avec les chats et s’enferme dans un monde de songes irréel et protecteur ? Papa et maman sont appelés à la rescousse au gré des textes. Peu importe à ce stade, c’est la réponse qui compte et celle-ci est belle, profonde, inspirée et pleine de chaleur et de résilience.
Sauvane en fait presque un peu trop dans le mainstream et la voix trafiquée pour ne pas agacer sur un Like My Father qui, en plein milieu de l’album, retourne quelque peu notre compassion. Il y a heureusement la beauté du single qui suit. Ce Cats Can Talk enfantin et formidablement touchant, qui semble être la clé de voûte de l’ensemble. On fatigue un peu par la suite, à force de mijoter dans l’autodestruction et l’affliction. Cela a beau être très bien fait, on peine parfois à distinguer les titres entre eux. Sweet Rain Corrosive démarre sur un tempo plus vif avant de replonger en eaux troubles. L’électro sert de refuge et parfois un peu de cache-sexe à un disque intime mais qui ne franchit jamais le voile de la pudeur. C’est la petite contradiction et la limite ici : c’est un disque très personnel mais qui paradoxalement en visant l’universel et en restant évasif flotte à la surface des choses et en dit trop peu et jamais de manière frontale. Until Daylight est splendide jusqu’à l’abstraction. Résister à la délicatesse et au dépouillement de Castle qui ferme l’entreprise est presque impossible, mais on aurait aimé que Sauvane sonne parfois plus terrestre et terre à terre.
Cats Can Talk est une entrée en matière très soignée et assez envoûtante pour qu’on l’accueille avec bienveillance. Sauvane s’impose comme une artiste à suivre mais qui devra probablement aller plus loin dans l’expression de ses émotions pour intéresser dans la durée.
02. As Bizarre As Me
03. Am I Happy ?
04. Ready To Die
05. Good For Nothing
06. Like My Father
07. Cats Can Talk
08. I Dont Hurt Anybody But Me
09. Sweet Rain Corrosive
10. Until Daylight
11. Castle