Spécial été : Twin Peaks (saison 3) en 10 titres

Twin Peaks season 3 episode 01Que fait-on en été ? Plein de choses inavouables certes. Mais surtout, en 2017, on regarde, semaine après semaine, la troisième saison de Twin Peaks (déjà meilleur film de l’année). Pour l’occasion, il aurait été tentant d’établir une playlist David Lynch (avec Roy Orbison, Powermad et Brian Eno). Ce qui nous aurait détournés du principal : le monde de Twin Peaks et son actualité. D’où, de façon subjective, dix titres qui gravitent autour de cette troisième saison. Attention : SPOILER !

Photo : capture d’écran.

Peter Ivers & David Lynch – In Heaven (Lady in the Radiator Song)
Partons du début. Dès son premier film, Lynch incorpore la chanson, voire même la prestation musicale, telle une ouverture vers un havre de paix. Dans le cauchemar industriel d’Eraserhead (où les bébés ressemblent à des vers de terre et les banlieues à des zones en friche), la musique est un appel à une possible sérénité, à un ailleurs angélique. Le même schéma se retrouvera, en 92 dans le film Fire Walk With Me (préquelle à Twin Peaks) : face à Julee Cruise interprétant Questions in a World of Blue, Laura Palmer, en larmes, s’extraira momentanément de l’enfer rouge du Bang Bang Bar.

Chromatics – Shadow
Restons un peu au Bang Bang Bar, dorénavant lieu de toutes les retrouvailles. Il sera impossible d’oublier le final de l’épisode 1B de la troisième saison de Twin Peaks : pendant que les Chromatics se produisent sur scène, le fan éperdu retrouve, dans le public, les visages vieillis de Shelly et James. La plus belle émotion de l’année.

Nine Inch Nails – She’s Gone Away
Jusqu’à l’épisode 7 de Twin Peaks S3, Lynch nous habituait à un live final (avec Au Revoir Simone, Sharon Van Etten, Trouble ou The Cactus Blossoms). Cassure radicale, apocalyptique, avec l’épisode 8 (le parti pris cinématographique le plus taré… de l’année) : outre une soudaine immersion, en noir et blanc, au Nouveau-Mexique (en 45 et 56 !), Trent Reznor, en plein milieu de l’épisode, surgit sur la scène du Bang Bang Bar et balance du lourd. Il y a un avant et un après cet épisode 8.

David BowieI’m Deranged
Que devient l’agent Phillip Jeffries (joué par Bowie dans Fire Walk With Me) ? Son nom est évoqué dans cette saison 3, il est impliqué dans les vingt-cinq précédentes années du Bad Cooper, son apparition (dans l’épisode 14) est intemporelle car extraite de son court passage dans Fire Walk. Lynch ressuscite Bowie, pas moins. Et à chaque fois que Jeffries est cité, l’introduction de Lost Highway (avec ce titre issu d’Outside) nous revient en mémoire. Décidément, même au paradis, Bowie reste un homme qui venait d’ailleurs.

Angelo Badalamenti – Theme from Twin Peaks
La musique de Badalamenti est assez peu présente dans cette saison 3. Sinon pour éveiller les souvenirs (Bobby pleurant face à une photo de Laura). L’essentiel est axé sur le sound design (orchestré par Lynch himself) : contrastes, ruptures, bruit indentifiable (dans l’Hôtel du Grand Nord), silences, déflagrations… Chaque épisode débute cependant par le thème légendaire de la série, mais il y a tromperie : les dernières notes s’éteignent dans un bruit sourd, pendant que la caméra arpente le tapis de la Black Lodge, jusqu’au noir, l’ailleurs. Autrement dit : Lynch propose aujourd’hui la facette ténébreuse de sa série culte.

Chrysta Bell – Polish Poem
Après Laura Dern et Julee Cruise, la nouvelle muse de Lynch. Il lui a coécrit deux albums, elle conclue Inland Empire, et dans Twin Peaks S3 elle incarne, fabuleusement, l’agent Tamara Preston. Chrysta Bell fait figure de passation : Gordon et Albert lui délivrent toutes les informations concernant l’affaire « Blue Rose », et sa façon de tenir tête à Diane (Laura « fuck you » Dern) indique l’importance de son personnage. D’une grande musicienne, Lynch en a fait une actrice inoubliable.

https://www.youtube.com/watch?v=0IX-zOoB6IY

Chris Isaak – Wicked Game
Le musicien obtient son premier succès en 89 pour ce titre destiné au Wild At Heart de Lynch. Logiquement, le cinéaste l’engage pour camper l’agent fédéral Chester Desmond dans Fire Walk. Enquêtant sur l’affaire « Blue Rose », non pas à Twin Peaks mais dans la bourgade de Deer Meadow (où même le café est froid), il disparaît soudainement après avoir découvert… la bague. À ce stade, rien ne laisse supposer que Chris Isaak pourrait faire une apparition dans Twin Peaks S3. Attendons le final…

Penderecki – Thrène à la mémoire des victimes d’Hiroshima
Aussi déstabilisant que révolutionnaire, l’épisode 08 de cette saison 3 plonge l’addict dans une zone encore plus abstraite qu’à l’accoutumée. Lynch y filme rien moins que son 2001 à lui, à lui seul. Si le Thrène de Penderecki correspond, devinons-nous, au sujet central de Twin Peaks S3, il sidère par sa frayeur : comme si Lynch réussissait à nous transformer en cosmonaute Bowman, comme si nous étions témoins des prémices d’un Enfer (lequel ?). Kubrick avait déjà cité ce titre glaçant dans Shining, mais nous supposons que Lynch n’y fait aucunement référence (le cinéaste ne croit pas aux clins d’œil ni à l’hommage affiché). Le Lynch world atteint ici sa quintessence (toutes périodes confondues) : Twin Peaks s’ouvre à un univers bien plus large que nous ne l’imaginions.

Harry Dean Stanton – Red River Valley
Qu’il est beau d’observer Lynch en train de filmer l’image de la vieillesse. Harry Dean Stanton est l’un des plus grands acteurs au monde (déjà présent chez Lynch dans Wild At Heart, Fire Walk puis The Straight Story). Dans cette saison 3, il reprend son personnage de concessionnaire fatigué du Fat Trout Trailer Park (vu dans Fire Walk). Lynch en fait un ange : Harry Dean recueille l’âme d’un enfant écrasé sur la route et console la mère apeurée. Magnifique, poignant. Et noble : toute la dignité d’Harry Dean Stanton, mieux que Wenders dans Paris, Texas, se trouve ici sublimée par Lynch.

Au Revoir Simone – Lark
Pour conclure, un peu de douceur en compagnie d’Annie, Erika et Heather. Présentes à deux reprises dans cette saison 3, les filles d’Au Revoir Simone (dont lynch est fan depuis le début) remplissent le même rôle que Julee Cruise dans Fire Walk, que la dame du radiateur dans Eraserhead ou Isabella Rossellini dans Blue Velvet : la musique permet d’oublier la violence du monde. David Lynch est un grand romantique lucide. Sans doute le dernier sur terre.


La playlist Twin Peaks que vous vous pouvez embarquer

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